.:: personnalité ::.
A mon très cher frère Torrel,
Alors que je m’attelle à rassembler les souvenirs de ces derniers jours, une pensée me vient soudainement. Celle que tu n’aies pas reçu ma dernière missive. En ces temps troublés, il est malheureusement courant qu’une poignée de lettres ne finissent pas entre les mains de son destinataire, mais plutôt trempées dans le fluide vitale de leur messager. Il convient donc que je te résume brièvement la situation dans laquelle j’étais.
Jusqu’au mois dernier, les affaires n’étaient pas des plus florissantes. Les bibelots que je transportais n’intéressaient pas le moins du monde les badauds qui croisaient mon chemin, et le peu d’or que je parvenais à amasser finissait irrémédiablement entre les pattes sournoises de bandits sans scrupules. Ou entre les doigts crasseux des mercenaires que j’employais (quand je parvenais à en trouver un). Crois-moi, petit frère, que certains jours voulaient me voir renoncer au métier de marchand ambulant pour retourner à la demeure familiale.
Mais au même titre que le destin peut vous cracher au visage avec une frénésie certaine, il peut tel le vent changer de direction pour devenir un fidèle allié. C’est en tout cas ce qui m’est arrivé aux dernières nouvelles.
Ma rencontre avec ce personnage que le destin mit en travers de ma route ne commença pas sous les meilleurs auspices, étrangement. Alors stationné près d’un petit village au nom imprononçable, j’avais fait l’acquisition d’un Etalon en échange de la majeure partie des objets que je transportais. Un magnifique Commandeur à la robe rousse, d’après le certificat. La réalité, en revanche, fut bien moins magnifique. Dans l’étable censée contenir ma nouvelle monture ne reposait qu’un maigre tas de foin. Mes yeux s’adaptèrent à la pénombre y régnant, et ce que j’y vis me glaça le sang. A l’intérieur se trouvait les restes d’un massacre perpétué par une bête sauvage, qui semblait assoupie dans un des coins. Assoupie eut été un bien grand mot, puisqu’au moment où j’étouffais de la main un cri d’étonnement, la chose se réveilla. Elle se releva en s’appuyant sur le mur, et, alors que je devais lever la tête pour la suivre du regard, me gratifia d’un râle des plus inhumains.
Pétrifié par la terreur, je crus ma dernière heure arriver. Mais après plusieurs secondes interminables à regarder la mort dans les yeux, rien n’arriva. Nous restâmes tous deux à s’observer, à attendre que l’autre décide de dire ou faire quelque chose. Finalement, je ravalai ma salive et lui pria de vive voix de ne pas me manger. Un vrai chevalier en somme. Le plus incroyable ne fut pas qu’il n’osa me manger, mais plutôt qu’il répondit « J’ai plus faim » en pointant la tête de cerf que je n’avais pas discerné plus tôt près de mes pieds.
Au cas où tu n’aurais pas compris, cadet, la bête en question n’était autre qu’un de ces fameux Sulis Canidae que l’on croise parfois dans les cités. Si certains sont très expressifs et jovial dès la première rencontre, celui de mon histoire n’était pas très parleur. J’ai dû user de patience pour finalement lui ôter de la bouche (gueule ?) qu’il s’était simplement contenté de se servir d’une étable vide comme d’une chambre pour la nuit après y avoir ramené et dévoré un pauvre cervidé. Cela m’a valu de comprendre que le certificat de vente n’était qu’une autre arnaque donc j’étais la victime... Désormais sans le sous et démoralisé par ce cuisant échec, je m’effondrai et lui implora de me venir en aide. Il m’observa un instant, me laissant le temps d’observer son faciès lupin puis accepta, en échange des connaissances sur le monde humain que je pouvais lui apporter.
Ainsi, pendant plusieurs semaines, je m’efforçais à la manière d’un professeur de lui inculquer toutes les coutumes, mondanités et autres civilités que ma cervelle pouvait se rappeler pendant que lui s’occupait de me ramener tout ce qu’il pouvait chasser. Mes négociations sur les ressources animales qu’il rapportait nous permirent de renflouer rapidement ce que j’avais perdu et de lui donner une maigre compensation financière. Il n’en avait pas fait la demande, mais je tenais à le remercier au moins de cette manière. Au cours de ces moments passé en sa compagnie, je dois t’avouer que je me sentais rassuré. De par ma nature sociable, je n’arrêtais pas de lui parler, mais cela ne semblait pas le déranger. Il a toujours gardé un air calme et réservé, avec un soupçon de curiosité dans le regard. Je ne l’ai vu que peu de fois se mettre en rogne, et je préfère chasser ces souvenirs de ma mémoire. Mais saches qu’en voyant ce Suli faire preuve d’intimidation, je n’ai plus jamais remis en doute la provenance des peaux d’ours qu’il me ramenait parfois.
A l’heure où j’écris cette lettre, il s’en est allé. Même si je m’en voudrais encore longtemps d’avoir acheté une étable vide, je ne peux qu’être heureux d’avoir pu rencontrer et vivre un moment avec un être de son espèce. Si un jour tu as la chance de discuter avec des Sulis, peu importe l'espèce, ne fait pas l’erreur de passer ton chemin. S’ils décident de s’ouvrir à toi, ils peuvent t’apprendre bien des choses que les humains ont depuis longtemps oublié. Ne perd pas espoir et laisse les te faire confiance. Ce n’est que quelques jours avant de se séparer que le loup que je côtoyais depuis deux semaines décida enfin de me parler sans retenue. Et au moment de nous quitter, il m’offrit le plus précieux cadeau qu’il pouvait me faire. Il me donna son nom. « Neyral ».
Dovath.