Prélude à un long voyage [ Fergal ]

La main de Litrish

11ième de Dan, 16ième année de l'ère du Second souffle

Un mois déjà s'était écoulé depuis l'arrivée fracassante de Fergal Thanatosian au sein des Redresseurs. Chaque membre de l'ordre l'avait accueillit en frère et beaucoup voulurent tisser des liens mais le Tiefflin semblait préférer la grande cours d'entraînement et les archives du sous-sol bien plus que la compagnie d'autrui. On respecta donc son choix et sa nature solitaire lui laissant l'espace et la solitude nécessaire à son confort.

Quant à elle, Silvia gardait un œil constamment sur le nouvel arrivant, autant par devoir que par admiration. Souvent elle songeait à son regard de rubis, s'éternisant ainsi dans ses pensées. Il avait fait ressurgir une vieille flamme perdue dans le cœur essoufflé de la dirigeante et depuis l'espoir se nourrissait de celle-ci, grandissant de jour en jour. Que pouvait bien leur réserver le destin, là de l'autre côté de la mer, sur ces terres impitoyables et rocailleuses...

Soudain, on l'interpella l'extirpant de ses réflexions qui devenaient trop profondes de toute façon. Elle posa ses yeux bleutés teintés de son sérieux et de son professionnalisme habituels sur son interlocuteur.

- Comme je vous disais madame, il vous attend dans la cours pour votre séance de combat. Plusieurs d'entre-nous sont sans doute aussi présents, impatients de voir ce que vous lui réservez cette fois ! Je vous accompagne? fit gentiment Cullen, un jeune archer à la chevelure sombre et à l'esprit avisé.

- Bien sûr, allons-y, je suis tout aussi impatiente que vous, ajouta-elle laissant échapper un bref sourire, l'étincelle dans le regard.

La salle d'entraînement martial était située en plein centre du bâtiment et le plafond voûté en verre laissait passer une douce lumière en ce jour froid de Dan. De chaque côté se trouvaient de larges balcons et leurs escaliers respectifs qui permettaient d'accéder à l'aire de combat. Le sol était fait de pierres fissurées à maints endroits laissant quelques brins de végétation se faufiler.

La Dignitaire avait revêtu ses pantalons de cuir noir, des brassards tout aussi sombres, une chemise de lin plus pratique que jolie, une large ceinture finement gravée ainsi que de longues bottes lassées de bas en haut qui allaient frôler ses genoux. Attachant habilement sa pâle tignasse elle plongea son regard empreint de défi dans celui de son adversaire qui se tenait bien droit depuis son arrivée. Seules ses longues mèches ébènes s'agitaient de temps à autres bercées par les courants d'air. La première partie de l'entraînement se déroulait à mains nues et sans la participation d'un quelconque ours cette fois-ci.

- Prêt à recevoir une autre leçon, Fergal ? lança Silvia sur un ton charmeur et moqueur.

Invité

La plénitude, voilà ce que visait Fergal en se levant à l'aube. Il ne se souvenait plus du nombre de fois où il avait assisté aux entraînements de son supérieur chez les Arrache-sables ; mais il se souvenait parfaitement de cette aura de sérénité et d'accomplissement qui émanait de ce guerrier, chaque fois qu'il répétait inlassablement les mêmes katas.

Le Tiefflin n'avait jamais eu l'impression d'être aussi éloigné des siens. Lui, qui avait pourtant passé plus des deux tiers de sa vie sur les routes, s'était habituait au désert, à son astre brûlant et ses oasis verdoyantes.
Cependant, il avait parfaitement conscience qu'il ne s'agissait pas d'un simple "mal du pays". Plus que le Varakir, plus que ses amis qui lui manquaient cruellement, c'était à sa famille qu'il pensait constamment ! Cela faisait bien des années qu'il n'avait pas vu son père et plus encore, qu'il ne s'était pas trouvé face à son frère.
Si seulement il avait eu connaissance d'un lieu où lui adresser une missive, peut être aurait-il pu désamorcer tout ce qui se préparait... Mais il était impuissant et dans l'ignorance totale de ce à quoi il devrait faire face. Ne lui restait que l'angoisse, l'inquiétude, la frustration et la colère...

Étrange paradoxe, plus ses nouveaux frères d'armes étaient amicaux avec lui, plus il se sentait coupable et plus sa rage grandissait. Alors il s’entraînait, le plus souvent possible, le plus intensément possible, jusqu'à ce qu'il soit suffisamment épuiser pour avoir l'impression d'être apaisé. Seulement alors il s'autorisait à se reposer mentalement en lisant dans la bibliothèque du château.
Nul n'avait connaissance de cette fureur atavique qui sourdait en lui, personne n'avait su déchiffrer cette lueur sanglante qui teintait son regard rubis. Si ce n'est lui, qui peinait parfois à se reconnaître quand il passait devant une surface réfléchissante. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'il voyait cette étincelle assombrir un regard, si ce n'est qu'à l'époque elle scintillait dans un regard couleur citrine...

La pièce était à peine baignée par les rayons du soleil levant quand il en poussa les lourdes portes. Le jeune Thanatosian noua solidement les sangles de ses bottes de cuir brunes qui grimpaient jusqu'à mi-mollet sur son pantalon couleur châtaigne, puis il fit de même avec ses longs brassards et son dossard en cuir brun eux aussi qui couvraient sa tunique en lin ; pour finir en attachant ses cheveux en un catogan négligé.

Il prit alors Brise-Foi, son fauchard, avec lequel il se mit à exécuter quelques mouvements. D'abord lents et proches du corps, ils finirent par prendre de plus en plus de vitesse et d'ampleur, tandis que le guerrier s'échauffait. Lorsqu'il atteint sa pleine vitesse d’exécution, Fergal n'entendait plus rien d'autre que le sifflement de son arme qui fendait l'air froid de la salle d'entrainement martial.
Alors qu'il se déplaçait dans la salle, il glissa son pied sous son cimeterre qui reposait au sol et le jeta en l'air d'un mouvement habille, pour s'en saisire d'une main tout en continuant de faire tournoyer son arme d'hast de son autre bras en s'aidant de son épaule. Comme s'il tentait d’occire une armée invisible, il continua ainsi de faire tournoyer ses armes un long moment.

C'est alors qu'il ressentit de nouveau cette rage qui couvait en lui, cette fièvre qui rendait ses mouvements de plus en plus rapide, de plus en plus brutaux... Il avait besoin de l’extérioriser, de la laisser consumer d'autres chairs que les siennes. Il voulait faire mal, que l'on souffre autant que lui. Écœuré de ses propres émotion, il finit par lancer son sabre qui se planta dans l'un des piliers de la salle, tandis qu'il enfonça Brise-Foi dans le sol à ses pieds.
Il se sentait nauséeux, fièvreux, mais étrangement... affûté ! Il avait l'impression de pouvoir compter les battements de cœur des nombreux Redresseurs venus s'entasser sous la verrière, à moins qu'il ne s'agisse que des siens...

Une rumeur grandissante lui apprit que celle avec laquelle il avait rendez-vous venez d'entrer. Il s'en sentit soulager.
Il aimait apprendre et améliorer ses aptitudes, à plus forte raison avec des personnes aussi expérimentées que Silvia. Sans oublier qu'il avait conscience que s'occuper l'esprit était encore le meilleur moyen de garder le contrôle et de faire taire ses démons intérieurs.

« Plus que jamais ! » lui rétorqua-t-il d'une voix déterminée.

La main de Litrish

Les curieux avaient les yeux pétillants et patientaient avec peine devant le duo le plus connu du grand château. Le torse du Tiefflin se soulevait et s’abaissait de moins en moins rapidement alors qu’il reprenait son souffle et son contrôle. Ses cheveux d’ébène collaient sur son front déjà couvert d’une mince couche de sueur. Silvia devinait aujourd’hui plus aisément que jamais les combats intérieurs qu’il cachait désormais avec peine, le jour du départ approchait et l’inquiétude devait le gagner.

Personne ne savait ce qu’ils allaient trouver de l’autre côté de la mer et Fergal redoutait sans doute de rencontrer son frère. Devrait-il alors le confronter, le tuer? En serait-il capable si jamais l’homme n’était plus que ruines? S’il accomplissait les moindres désirs du démon à la tête de la soi-disant armée? Il n’était cependant pas le seul à craindre, la Dignitaire ne pouvait même pas s’imaginer échouer, tant de vie en dépendaient…

Un silence entourait les combattants qui se fixaient l’un l’autre résolument. Ce n’était qu’un exercice, mais ils utilisaient toute la fougue et la force en leur possession. Fergal avait retrouvé son calme et venait de fermer les yeux pour se concentrer. La femme sourit avant de se diriger vers lui en effectuant des courts déplacements latéraux tentant de le confondre dans sa première attaque.

Cependant il ne bougea pas d’un pouce avant qu’elle ne soit à sa portée et entra finalement dans la danse en esquivant habilement le premier coup de poing porté à son encontre. Pivotant sur lui-même il se saisit de son bras gauche en tentant une prise en vain puisqu’elle fit une violente roulade en prenant soin d’agripper le bras de son opposant qui fut emporté sur le sol bien malgré lui.

Une fine poussière s’éleva autour d’eux alors que le Tiefflin évitait une fois de plus une prise de soumission. La Dignitaire était rapide et précise, mais sans doute moins fière et endurante que son ami qui redoublait d’ardeur. Coups après coups les combattants se tenaient tête tout en se déplaçant d’un bord à l’autre de l’aire d’entraînement sous les clameurs tantôt surprises, tantôt encourageantes. Les muscles de Silvia se fatiguaient plus rapidement qu’à l’habitude et la puissance des assauts de son adversaire y étaient sans nul doute pour quelque chose. Elle voyait à son expression qu’il tendait à se perdre laissant la rage le gagner.

La dame fut la première à toucher sa cible, lui assénant un impressionnant coup de pied en plein torse. Pris de court il failli tomber sur le dos, mais il reprit habilement pied avant de riposter avec un rapide croc-en-jambe. Silvia tomba rudement sur le sol de pierre ne pouvant retenir un cri de douleur lors de l’impact puisque sa tête avait encaissé en grande partie le choc. Sans attendre Fergal lui sauta dessus, paralysant ses bras à l’aide de ses genoux et lui empoignant fermement la gorge. Elle se débattait pendant que la foule applaudissait, mais l’homme ne s’arrêtait pas, il serrait de plus en plus fort.

Paniquée elle usa de toute sa souplesse afin de passer ses jambes autour de son cou. La position fort inconfortable porta fruit et elle se retrouva à son tour en position de force. Elle empoigna rapidement sa dague cachée dans sa botte droite et l’appuya sur la gorge de Fergal qui semblait des plus déboussolé. La grande salle baignait de nouveau dans un silence mais cette fois il était empreint de crainte et de confusion.

« Nous en avons terminé pour aujourd’hui. Je te prierais de me rejoindre dans mes quartiers après le dîner de ce soir. »

Elle se relava et quitta d’un pas rapide sous les regards inquiets de ses compagnons. Silvia alla s’enfermer dans sa chambre et s’adossa à sa porte en fermant les yeux. La panique qu’elle retenait fut alors libre de s’exprimer et la Dignitaire se mit à pleurer en silence. Jamais Fergal ne lui avait fait si peur, jamais elle n’avait été témoin d’un tel regard assoiffé de violence. Elle n’était pas de celles qu’on effrayait d’un rien, mais la situation impliquait une personne qu’elle connaissait bien et en qui elle avait confiance. Il lui devait certainement quelques explications.

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