La gamine court. Ses petits pieds nus ensanglantés frôlent avec dextérité le sol. Le bruit rauque de son souffle résonne alors qu'elle se précipite dans une petite ruelle. Dans ses bras, elle serre fortement son vol du jour en bref de quoi manger un petit peu. Elle guette le moindre bruit, son ouïe affinée guettant les pas du marchand qui l'a poursuivit durant plusieurs minutes. Rien. Le plus grand des silences. Alors elle se laisse aller à une petite pause, se laissant glisser le long du mur le plus proche. Elle ramène ses jambes repliées contre son buste grignotant sa trouvaille. Ses joues creuses s'agitent alors que la gamine mâche vivement un morceau de pain. D'un geste de la main elle essuie la suceur qui souille son front, ne s'arrêtant pas pour autant de manger. Soudainement une main s'abat sur son épaule. Agrippant le haillon qui lui sert de haut, le vieillard la soulève. Il la scrute de son unique oeil, bredouillant:
"Qu'est-ce que tu fais?"

La gamine le fixe, les yeux exorbités. Elle déglutis et se débat vivement jusqu'à se détacher de sa poigne. La petite recule alors, réajustant son haut et désigne son ventre d'un geste de la main. Son regard brille d'une petite lueur de peur alors que le vieillard se gratte la barbe marmonnant :
"Et tu ne travailles pas?"

La gamine aux aguets jette des coups d’œil furtifs autour d'elle en secouant négativement la tête. Le vieillard s'accroupit. Ses os craquent alors qu'il se met au niveau de la petite. L'orpheline recule d'un pas et le vieillard ne souhaitant pas la brusquer murmure d'une petite voix:
"J'ai besoin de ton aide. Tu veux bien m'aider?"

La petite fille toujours muette recule d'un pas méfiante. Elle ramasse le morceau de pain qui lui a échappé et le range dans la poche de son haillon. Le vieillard enchaîne :
"J'ai besoin de sculpteurs. Je travaille le bois depuis longtemps et quand tu seras en âge tu m'aideras pour la vente. Pour le moment tu m'aideras à travailler et ramasser le bois. C'est compris?"

La petite fille le fixe et toujours muette désigne sa bouche puis son ventre. Se redressant le vieillard laisse échapper un petit éclat de rire lui soufflant :
"Oui. Tu pourras manger comme tu veux. Et tu auras toujours ta liberté."

[...] L'apprentissage s'est avéré beaucoup plus compliqué que prévu. Dans un premier temps, le vieillard constata que la gamine n'avait ni apprit les lettres ni les chiffres et que par conséquent elle ne savait ni lire ni écrire. Hormis hocher positivement ou négativement la tête, elle ne savait non plus pas parler. Et pour finir elle n'avait ni nom,ni prénom. Elle était inconnue de tous si ce n'est des marchands qu'elle volait en continue depuis son plus jeune âge. Nombreuses étaient les personnes qui pensaient qu'elle volait pour sa famille alors qu'elle était "juste" orpheline."Juste" seule dans sa misère.
Dès son arrivée dans la vaste demeure du vieillard, la petite fille apprit à s'exprimer autrement que par de vastes gestes. La gamine apprit également à travailler le bois ce qui lui valut de nombreuses cicatrices sur les mains par la suite. A ses quinze ans elle était totalement formée au travail d'artisan sculpteur et elle osait appeler le vieillard,Janï, père. Il l'avait d'ailleurs surnommée Jen expliquant que ce prénom était net, clair et concis comme son caractère.
En une dizaine d'années le vieillard était devenu plus qu'une simple connaissance. Il évoquait la sagesse mais aussi la bonté pour la gamine qui apprenait chaque jour à ses côtés. Lorsqu'elle atteignit ses seize ans le vieillard lui expliqua que ses yeux bleus, ses doux cheveux et sa douce voix pouvaient attirer l'attention d'une multitude de jeunes hommes. Il lui promit de choisir le meilleur des jeunes hommes pour elle hélas il s'éteignit bien avant plongeant Jen dans une solitude pesante. Jen découvrit sur papier l'héritage : il lui cédait son atelier, sa maison, la qualifiant de sa seule enfant. La jeune fille serait donc l'unique héritière, ne s'appelant plus Jen mais Jen Athild, reprenant le nom de Janï. Ce dernier n'évoquait pas un éventuel mariage ni un éventuel gendre ce qui la laissait entièrement libre. Le vieillard avait tenu sa toute première promesse la laissant libre.


A seize ans donc elle avait l'opportunité de s'engager où bon lui semblait car non seulement sa réputation d'enfant des rues s'était améliorée mais le commerce qu'elle tenait était fleurissant lui laissant le choix concernant son avenir. Un avenir libre. Cet avenir, elle comptait le façonner auprès de l'armée de Bélin. Le domaine du combat l'intéressait autant qu'il l'intriguait puisqu'elle souhaitait se forger une nouvelle apparence en bref celle d'une jeune femme endurcie par les événements. Adieu la sensibilité du bois. Bonjour le sérieux et la régularité de l'armée.
De plus, la perte récente de son père de cœur l’encourageait de plus belle à s'investir dans un nouveau domaine et à y briller. A y briller pour elle mais surtout pour lui. Elle y voyait ici un hommage pour son défunt. Un seul soucis s'imposa : le commerce. La belle jeune femme ne pouvait et ne voulait pas le céder à n'importe qui. Elle prit deux ans pour la formation d'un petit orphelin des rues. Comme l'avait fait le vieillard, Jen avait prit premièrement le temps de gagner la confiance de l'enfant qu'elle était partie chercher dans la rue. Une fois chose faite, elle le forma aux lettres et aux chiffres afin qu'il puisse gérer les ventes. Puis, au bout de cette année intense, elle le forma enfin au travail du bois. C'est un réel amour qu'elle lui transmit, l'invitant à modeler voir même à donner presque vie à ces quelques pièces façonnées dans du bois. A ses dix-neufs ans, elle s'engagea enfin dans l'armée, laissant le jeune Naël gérer la boutique durant son absence... Le gamin avait atteint l'âge de treize ans et Jen avait placée toute sa confiance sur lui comme l'avait fait quelques années auparavant Janï.


Soldat. Une nouvelle étape dans sa vie. Partie rejoindre les rangs de l'armée elle était adulée par plusieurs personnes. Sa petite histoire fascinait autant qu'elle intriguait, de ce fait la jeune femme ne s'attirait pas que des amis...

Et elle en prit conscience lors d'une chasse à l'homme. Un message circulait parmi tous les soldats : un homme rodait autour du campement. La chose n'était pas réellement rassurante aussi bien pour Jen que pour ses acolytes. Rapidement ils mirent en place une stratégie pour coincer l'homme.

Aujourd'hui, je suis de garde. Je n'ai pas réellement peur puisque nous sommes cinq à monter la garde. Même si la fatigue me gagne, je me refuse à dormir. Vêtue d'une simple armure en cuir et de mon arc, je me pose légèrement à l'écart de tout ce beau monde pour guetter les bruits alentours. Rien. Je laisse mes pieds nus frôler l'herbe fraîche du soir, me demandant à quoi peut ressembler la personne qu'on va traquer ce soir. Soudainement sur ma droite, un mouvement vif. Je braque aussitôt mon arc dans la pénombre naissante. Mon cœur s’agite. Ma respiration s'accentue, s'accélère très rapidement. Mes mains tremblent légèrement à l'idée d'un nouveau combat. L’adrénaline se diffuse dans mes membres et je me relève, confiante en mes capacités d'archère.

Le silence remplit les environs, j'ose faire quelques pas et l'instant d'après j'entends un hurlement.Strident, il déchire mes tympans. Je me concentre sur sa provenance alors qu'il se répète une nouvelle fois : le campement. Le cri provient du campement! Je m'y précipite, le cœur battant à tout rompre...