Né le dix-huitième jour du mois de Branfale, en l'an trois cents quatre-vingt-neuf de l'ère du Grand cauchemar, c'est dans le tranquille village de Quiétude qu'Asgaroth vit le jour, né de parents Tiefflins. A l'époque, le père de l'enfant — monsieur Samor Nagal —, était un forgeron réputé dans la ville de Fort-Froid, capitale de Norpalie. C'est grâce à ce métier dur, mais fournissant des revenus corrects, que la famille Nagal, installée à Quiétude, parvenait à vivre modestement. Nalefus — la maman d'Asgaroth — était très heureuse de la naissance de son premier enfant.

Grandissant auprès des siens, Asgaroth développa très vite un goût prononcé pour la chasse. Pendant que sa mère s'occupait de la maison, lui passait ses journées à vagabonder dans les champs et la boue, à la recherche d'animaux qu'il se faisait un plaisir de ramener pour le dîner. A l'âge de dix-huit ans, Asgaroth, accompagnait de quelques amis, ne reculait pas devant la traque de cinq ou six loups des neiges.

Lorsqu'il eut atteint l'âge adulte, Asgaroth était un jeune homme grand et fort. Son père lui demanda de venir le rejoindre à Fort-Froid, pour travailler à la forge. Tout exciter à l'idée de découvrir la capitale de Norpalie, c'est avec joie qu'il accepta. Il travailla ainsi durant quelques années, confectionnant armes et armures pour ceux prêts à payer les deux hommes. Malgré le travail difficile qu'il devait accomplir, c'est sans rechigner qu'il acceptait d'œuvrer au delà de ses heures de travail, pour terminer dans les temps. Bien qu'il devint plutôt bon forgeron, il n'arriva pas à la cheville de son père, devenu maître dans son domaine.

A l'âge de vingt-quatre ans, Asgaroth, qui prospérait tranquillement avec son père à Fort-Froid, fut le témoin d'un trame qu'il le changea pour le reste de sa vie. Après des années passées auprès de son père, quelque chose de terrible arriva. Auparavant, il est important de préciser une chose : bien que les Tiefflins et Aasimars se soient assez bien intégrés dans la population, des personnes aux penchants plus ou moins racistes ne percoivent pas d'un très bon œil le fait que ces êtres puissent évoluer comme de simples citoyens normaux. Parmi les personnes concernées existe un certain Dunnar Morra, lui aussi forgeron, travaillant à deux rues de la forge des Nagal. Avec le temps, cette dernière avait acquis une noble réputation, connue pour exaucer les demandes les plus farfelues, sans jamais faillir à sa tâche. Ne supportant plus de perdre de la clientèle à cause des Nagal, alors que ceux-ci n'était même pas d'Ildirith, Dunnar décida de leur rendre une petite visites, à la dernière heure d'une dure journée de travail acharné. Lorsqu'il arriva à la forge, Asgaroth était sorti acheter quelques aliments pour le souper du soir. Ainsi, Samor était seul lorsqu'il accueillit Dunnar, dont il connaissait les tendances radicales et racistes à l'encontre des créatures de l'Outre-monde. Voici comment se déroula la rencontre.

Après quelques secondes à avoir attendu devant la porte, cette dernière s'ouvrit sur un homme à la haute stature et aux muscles saillants : Samor. Ce dernier reconnu immédiatement l'homme qui lui faisait face : Dunnar, son rival direct.

— Bonsoir, monsieur Morra. Que puis-je faire pour vous ?

— Cessez vos politesses, Nagal. Je vais aller droit au but : vous allez arrêter de me voler ma clientèle, répondit Dunnar.  

— Je suis désolé, mais je ne vois pas de quoi vous parlez. Si les clients désirent venir ici plutôt qu'ailleurs, c'est leur droit, dit Samor.

— Avant votre arrivée à Fort-Froid, je prospérais. En cinquante ans de carrière, je n'ai jamais perdu autant d'argent. Et nous savons tous les deux que ceci arrive par votre faute.

— Je me permets de vous signaler que les Leopus ont de loin bien plus de clients que moi. Maintenant, si vous n'avez rien d'autre à faire que de venir m'importuner de la sorte, je vous priereais de bien vouloir vous en aller.

Samor commença de fermer la porte, mais celle-ci fut bloquée.

— Ca ne va pas se passer comme ça.

D'un pas brusque, Dunnar passa le seuil, referma la porte, et bouscula Samor. Celui-ci, qui avait toujours été impulsif et qui ne supportait pas que l'on empiète de la sorte sur ce qui était à lui, décocha un magnifique coup de poing à plein sur le nez de Dunnar. Forcée de reculer sous l'impact, ce dernier vit un léger filet de sang s'échapper de ses narines. Sonnés quelques secondes, Dunnar se reprit et profita de ce coup pour justifier son geste : il se jeta sur Samor  avec une telle violence que celui-ci, bien que dépassant son adversaire d'au moins une tête, fut obligé de reculer. Et c'est avec de puissants cris que le combat s'engagea.

Dehors, alors que les rayons du soleil se retiraient avec douceur d'Ildirith, la cohue intrigua les voisins. Quelques-uns se demandaient ce qui pouvait bien se passer chez les Nagal, d'habitude calmes. De son côté, Asgaroth avait terminé d'acheter le nécessaire et était sur le chemin du retour, ne se doutant pas de l'affrontement qui se jouait parmi les épées et autres objets de cet acabit.

Alors que Samor prenait le dessus après moins d'une minute de combat, Dunnar le frappa d'un puissant coup de pied entre les cottes. Reculant, Samor n'abandonna pas. Il se jette tel un fauve sur son adversaire mais n'attrapa que du vide. Une seconde plus tôt, Dunnar, avait fait un roulé-boulé et s'était saisi d'une épée forgée quelques heures plus tôt. Et alors que les voisins n'avaient entendu jusqu'alors que de simples bruits d'homme s'affrontant à mains nues, le bruit métallique, si caractéristique, du fer qui se croise leur parvint jusqu'aux oreilles.

Alors que les lames tranchaient l'air et s'abattaient avec force l'une sur l'autre, Asgaroth atteignit finalement la forge. Assemblés tout autour, les badauds, maintenant nombreux, émettaient des hypothèses sur la raison des bruits audibles.

— Les fils et le père se mettent dessus, maintenant ! Je savais bien qu'ils ne se supportaient pas, disait l'un.

— Mais non, ils doivent simplement s'entraîner. Ils ont des épées partout, après tout, disait l'autre.

— Bah ! J'ai vu monsieur Morra se pointer, tout à l'heure. Je suis sûr que quelque chose ne va pas.

Lorsqu'il entendu ce dernier, Asgaroth l'interrogea :

— Vous en êtes sûr ?

— Oui mon gars !

Laissant tomber la nourriture, Asgaroth se fit un chemin jusqu'à la porte et pénétra dans l'enceinte de la forge. Il vit son père et monsieur Morra s'affronter à l'épée dans un combat dont l'issue semblait incertaine. Et alors qu'Asgaroth ne parvenait pas à se mouvoir, il poussa un cri terrifiant qui déchira le crépuscule. Saisis de frayeur, les riverains s'engouffrèrent tous en même temps par la porte. Sur le sol, la gorge tranchée, gîsait Samor, sans vie. Le sang s'échappait telle une cascade de sa chair. Se jetant sur son père, Asgaroth ne parvint pas à retenir ses larmes. La tristesse lui déchirait le cœur. Les visages tantôt tristes tantôt apeurés du voisinage regardaient la scène, tous totalement dépités. Lâchant son arme, car complètement horrifié par l'acte qu'il venait d'accomplir, Dunnar était horrifié par lui-même, incapable de bouger.

Lorsqu'il entendit la lame s'abattre sur le sol, Asgaroth se retourna, le visage en larme. Ses croisèrent ceux de Dunnar, et en cet instant, la rage se saisit de son cœur. N'écoutant plus que sa colère, il se jeta si violemment sur Dunnar que celui-ci tomba au sol, sa tête heurtant le sol dur et froid de la forge. Plusieurs voisins vinrent se joindre aux deux hommes, dans le but de les séparer, ce qui finit finalement par arriver. Alors qu'Asgaroth criait à pleins poumons, suppliant qu'on le libère, Dunnar s'échappa de l'endroit à toutes jambes.

— Si je te retrouve, je te découpe en morceaux ! hurlait Asgaroth. Je te couperai la tête !

Cependant, Asgaroth n'eut jamais ce plaisir, car dans la soirée, Dunnar alla se jeter d'un haut d'une falaise, se supportant plus d'avoir les mains couvertes de sang pour le reste de sa vie. Le cœur submergé par la tristesse, choqué pour le restant de ses jours, Asgaroth abandonna la forge, sans se poser de question. Il ne rendit même plus visite à sa mère (avec qui, il faut tout de même le souligner, il n'était pas très proche. Seul son père comptait beaucoup pour lui). Il se saisit de son armure, d'une bourse et de quelques pièces, qu'il mit à sa ceinture, se procura la plus belle épée qu'il avait fabriqué, et quitta la forge dans laquelle il ne pouvait plus travailler. Marqué à vie par cet événement tragique, il décida de partir voyager aux quatre vents, convaincu qu'il n'y a aucune justice dans la vie, et que seule la puissance d'un être lui permettait de survivre dans ce monde où ni le bien, ni le mal n'existaient, mais où seul le gain personnel pour sa propre survie prévalait sur tout le reste.