Avec le temps, la Confrérie avait gagné une certaine notoriété en territoire bélinois. Une part du peuple croyait en la mission de ses membres qui était de rendre Ildirith et leur chez-soi une place où il faisait mieux vivre, mais d'autres se ralliaient à l'avis des souverains du pays qui n'avaient pas tardé à les démoniser et les traiter de criminels sans scrupules intervenant dans le devoir et l'application des lois. Rallier les gens du peuple et les seigneurs non-corrompus à sa cause était donc un combat de tous les instants pour Eramos. Quand il eut réussi à s'implanter officiellement dans la Basse-Ville et qu'il eut contribué à stabiliser un peu ce milieu défavorisé, il s'était donné le droit de voyager pour faire part de sa vision aux dirigeants des autres villes et capitales voisines à son pays d'adoption.

Après s'être fait renvoyer sans ménagement du palais des sables de Varak par son seigneur lui-même, il su qu'il ne pourrait rien changer pour l'instant dans son pays natale. La dictature de Dagathor était encore trop forte. Il aurait besoin d'alliés puissants s'il voulait le défaire et sa destination paraissait être d'emblée la Norpalie où il avait vécu quelques années pour Eva Sombracier qui lui avait servi d'apprentie à sa science de la survie. Il avait contribué -il le savait- à la dureté nouvelle de cette femme, mais il la savait maintenant prête à tout. Il espérait la revoir un jour.

Il passa la frontière de nuit et arriva à Fort-Froid quelques jours plus tard à dos de cheval. Il espérait bien entendu pouvoir discuter avec Darek Jerodian, le Seigneur de la Norpalie, mais avant tout, il voulait parler avec Adrian Sombracier, le Général des armées et aussi le père d'Eva. Peut-être serait-il plus facile de se faire entendre d'une connaissance avec énormément d'influence dans cette cité froide et austère peuplée d'un peuple aux us et coutumes qui le dépassaient.

Il fut déçu d'apprendre que ni l'un ni l'autre n'était disposé à le recevoir et pour cause, ils étaient partis guerroyer à l'extrême sud du pays, mais on ne voulu pas lui donner plus de détails. Eramos se demanda ce qui avait pu faire déplacer le général et le seigneur du pays en une bataille. En tout cas, le conseil inter-territorial n'était pas au courant. Il l'aurait été aussi. Il demanda alors qui tenaient les rennes en l'absence de ces deux piliers du pays et il fut informé que c'était Joeffrey Hekhart, le Haut-Conseiller de Jerodian qui dirigeait, mais il était sortit pour un affaire diplomatique.

Le Mentor de la Confrérie, obligé d'accepter qu'il ne verrait aucune tête dirigeante aujourd'hui, se dit qu'il pourrait aller rendre visite aux peuples des glaces, ceux qu'on nommait dans l'ensemble de leurs clans les Skûls. Norpaliens marginaux, ils vivaient dans les plaines gelées et les forêts blanches en petites communautés pêcheuses et chasseuses. À ce qu'il avait lu sur son sujet, ce peuple refusant l'abri des villes se formait des derniers descendants des Anciens Norpaliens, peuple guerrier et territorial. Il était peut-être donc vains et même dangereux d'essayer d’entamer une conversation avec eux, mais c'était la seule solution qu'Eramos entrevoyait. Il espérait seulement pouvoir survivre assez longtemps si cela venait à se gâter pour rallier Fort-Froid de nouveau et quémander une audience avec le Haut-Conseiller lorsqu'il serait rentré à la capitale.

Le vieil homme acheta alors de la nourriture sèche, de l'huile à lanterne supplémentaire et des vêtements plus chauds pour cette expédition qui s'annonçait glaciale dans le pays le plus froid de tout le continent.

♦

Il avait longé la mer des Larmes pendant trois jours afin d'atteindre le village skûl pêcheur de Hëelhvoer. À ce que les voyageurs des routes lui avait dit, c'était un homme du nom de Hulgar qui dirigeait. Il était leur guide spirituel. Arrivé à destination, l'ancien chasseur de primes se fit accoster par deux hommes. Ils étaient grands, tout comme les autres Norpaliens et avaient des vêtements fait en peau lisse, surement pour l'imperméabilité du tissus. C'était, il ne fallait pas l'oublier, un peuple pêcheur et donc passant le plus clair de son temps dans l'eau qui -il fallait le dire- devait être glaciale.

- Les étrangers ne sont pas admis sur nos terres. Qui es-tu, Varakirois ?

- Je suis un homme de paix. Je viens dans l'intention de parler avec votre guide. J'ai fais un long voyage et je suis éreinté. N'est-ce pas dans vos tradition d'accueillir les nomades parcourant les glaces ?

Les gardes du villages parurent perplexe. Ils se demandaient sans doute qui était cet homme qui connaissait leur règles et peut-être pourquoi s'y intéressait-il ?

- Oui, vous pourriez peut-être rendre curieux le Grand-Prêtre. Vous êtes chanceux, Uria nous a sourit aujourd'hui. Vous pourrez donc partager notre repas en répondant à ses interrogations. Suivez moi.

Eramos emboita le pas des deux gardes à-travers les arbres. Il y avait un sentier même si l'on ne pouvait le voir. Il avait vécu plusieurs années en forêt et il savait pister, ce qui l'avait amené à comprendre que le sentier menant au village restait des ouvertures très légères entre les arbres. Pas assez grandes pour titiller l’œil de n'importe qui, mais assez visibles pour qu'un habitué de ces bois puisse les trouver.

Le trio arriva alors au village. Il était pour la plupart construit de bois et jonché au-dessus de la mer par un énorme quai. De pêcheurs s'affairaient à la tâche de ramener le poisson pêché au centre du village où attendait la plupart des villageois assis autours d'un énorme feu. Au centre de cette attroupement se distinguait un homme au visage taciturne et aux habits bleus contrastant avec les habits ternes des autres Heelvoriens. Les gardes montrèrent du doigt cet individu qui fut rejoint par Eramos. Tous le regardaient, étranger en ces terre à l'exception du guide spirituel qui regardait la mer.

- Uria m'a dit qu'un homme sombre viendrait ici. Cela ne peut être que toi. Comment les dieux t'ont-ils nommé ?

- Eramos.

- Assis-toi avec nous Eramos et mange. Tu es exténué. Il faut dire que comme moi tu n'es plus de prime jeunesse.

Le varakirois sourit et s'assit en remerciant ce qui semblait être l'ainé du village. Il ne fut que momentanément surprit par les affirmations que trop vraie du chamane à son égard, mais revint bien vite terre-à-terre. On lui tendit un plat de poisson cuit qu'il commença à manger.

- Pourquoi viens-tu à nous ?

- Je viens pour quérir votre aide.

- À quel propos?

- À propos de vos terres.  Vous n'êtes pas sans savoir que la Norpalie est gangrénée par la corruption et l'égoïsme? Si je viens aujourd'hui c'est pour demander votre appui quand le moment sera venu.

- Et qu'espérez-vous faire le temps venu, monsieur d'Irifuse?

On l'interrompit alors qu'il allait répondre. Une femme venait au chamane en haletant, visiblement essoufflée.

- Grand-Prêtre, nous avons repéré un politicien de la cité. Nous attendons vos ordres.

- Qui est-il ?

- Les éclaireurs affirment que c'est Joeffrey Hekhart, Grand-Prêtre. Il est accompagné d'une demi-dizaine d'homme au plus. C'est le moment rêvé pour attaquer.

Eramos se leva en protestant.

- Attaquer ? Pourquoi, par Sipriar feriez-vous cela?

- Ce n'est pas ce que vous parliez par moment venu? Si les chefs n'existent plus, la corruption non plus.

- Ce n'est pas si simple, d'autres prendront leur place et puis nous n'avons aucune preuve que ce Hekhart ne soit...

- Il suffit! Ces hommes ont volé nos terres et ils méritent la mort. Jalia, prépare les chasseurs et qu'ils partent. Qu'Uria vous guide.

Elle salua son chef d'un hochement de tête rapide et se mit en quête les troupes pour aller attaquer le Conseiller.

- Je crois que vous devriez vous joindre à nous si  ce que vous voulez est... Mais où est-il passé?

Le Grand-Prêtre avait beau lui parler, Eramos n'était déjà plus là pour lui répondre. Il devait stopper cette attaque et protéger le Conseiller. Il était peut-être un criminel aux yeux de son pays, mais lui savait qu'il agissait pour les bonnes raisons et de protéger un homme de loi en faisait parti. Du moins, il l'espérait.

♦

La bataille avait déjà commencée lorsque Eramos arriva à la clairière. Des flèches pleuvaient littéralement sur les hommes le régent de Fort-froid. Sans perdre un instant, il repéra celui qui devait être Joeffrey Hekhart parmi les hommes. Il portait un manteau de noble qui semblait très chaud et il semblait se faire protéger par les autres hommes. Eramos répugnait à le faire, mais il abattit ses carreaux sur deux chasseurs skûls pour les blesser, puis il profita de la confusion dans leur rang pour s'approcher du Conseiller. Ses hommes de mains semblèrent le prendre pour une menace, hors il se plaqua contre une souche pour se protéger des flèches pleuvant désormais sur lui. Rechargeant son arbalète de deux carreaux, il cria à tue-tête pour que le noble l'entende.

- Si vous voulez vivre, vous devrez me suivre! Je ne suis pas votre ennemi!

Il déchargea un carreau sur un chasseur qui fut blesser au bras, le handicapant pour tirer.

- Nous devons nous dépêcher!