Son client amené à bon port, Niri pouvait d'ors et déjà s'occuper de ses propres affaires. Le petit Ikar agitait furieusement un bras dans sa direction en guise d'adieux, mais après un dernier coup d’œil dans sa direction, elle l'avait déjà chassé de son esprit. Alors qu'elle se détournait, une bourrasque glaciale lui fit fermer brièvement les yeux; il était étonnant que ses cils n'aient pas encore gelés. Son visage mordu par le froid avait prit une teinte plus bleutée encore qu'à l'accoutumé...elle commençait à regretter le climat plus clément de Varakir. Mais n'ayant guère le loisir de rebrousser chemin, et puisqu'elle était là...elle se contenta de remonter les fourrures sur ses épaules tout en jetant un œil méfiant sur la cité, blanche de neige.

Niri était fatiguée en plus d'être congelée, et au vu de l'heure, elle doutait qu'il n'y ait encore quelques forgerons encore actif. Sa chaîne avait grand besoin de se faire solidifier à l'endroit de son accroche. Tout en songeant à ce qu'il lui fallait faire, silencieuse, elle passa les premières maisons. Le sol traîtreusement recouvert de cette poudreuse blanche forçait une marche précautionneuse.

Elle soupira et leva une nouvelle fois le nez vers les hautes bâtisses dont les toits se mêlaient froidement aux cimes alentours. Objectivement, il fallait bien avouer que cette cité était resplendissante...mais quelque chose lui murmurait intérieurement de ne pas trop s'attarder ici. Jusque là, ses intuitions avaient toujours étaient de bon conseil, aussi la jeune femme comptait bien laisser ses oreilles fureter ce soir, dans sa future auberge, dans l'espoir de trouver de nouveaux clients et reprendre la route au plus tôt. Pour cela, il lui fallait trouver un forgeron ce soir assez amical pour accepter de travailler pour elle en cette heure...

Enfin, elle déboucha sur une petite place où flânaient quelques âmes, s'affairant encore à quelques tâches. D'un bon pas, elle se dirigea vers l'un d'eux.

"Excusez-moi." commença-t-elle de sa voix grave et caressante. "Je recherche un forgeron encore en activité..."

L'homme à qui elle s'adressait la regarda des pieds à la tête avant de marmonner un truc dans sa barbe, et enfin daigner lui répondre :

"...y'en a pu aucun d'ouvert à c't'heure-ci m'dame." fit-il, manifestement de très mauvaise humeur.

"Je suis pressée..." continua-t-elle, durcissant involontairement le ton.

Une nouvelle étude de la part de son interlocuteur sembla le raisonner un peu.

"Bahrf, voyez plus loin vers là-bas." il pointa une ruelle d'un geste vague... "Y'a Brume dansante qui habite là-bas, mais comptez-y pas trop qu'il travail encore à c't'heure ! Le froid est mordant, v'comprenez ?"

Et de se détourner aussitôt, il délaissa l'Eladrine, guère désireux de continuer à entretenir cette discussion.

De son côté, la dame d'acier grinça des dents mais choisit d'emprunter la voie que l'homme lui avait indiqué. Un peu plus loin, elle déboucha sur un établi manifestement fermé. Guère décidé à se laisser dérouter par ce simple détail, Niri fini par se faire indiquer la demeure de ce "brume dansante", après quoi...elle se dirigeait à présent vers sa maison...

Un temps, elle s'interrompit devant la dite bâtisse. La lumière brillait toujours à l’intérieur et quelqu'un observait par la fenêtre. Résolue, elle alla frapper trois coups à la porte close...

Les coups avaient résonné, brisant le silence de glace qui régnait au dehors. Il n'y avait plus personne alentours désormais. C'est seule, accompagnée du froid et du soir tombant que l'Eladrine s'annonçait, osant déranger un étranger dans sa quiétude vespérale. Enfin la porte s'ouvrait doucement, laissant apparaître une figure masculine. Il eut à peine le temps de lui demander ce qu'il pouvait bien faire pour elle, qu'une bourrasque sinueuse venait s'infiltrer dans l'embrasure de sa porte.

"Je..." commença-t-elle sans pouvoir finir.

Tout deux frémissant, Niri fut quelque peu prise au dépourvu, coupée par l'hospitalité de ce jeune homme qui l'invitait subitement à entrer. Déjà, et sans trop savoir pourquoi, elle se retrouvait dans sa demeure bienheureuse cependant de sentir l'âtre réchauffer la pièce et sa personne.

"Que faites vous dehors par ce temps? "

Elle se tourna vers lui et le regarda franchement. Il était grand, le corps rompu à l'exercice et les traits fins malgré un œil devenu vitreux par les suites d'une blessure.

"Je ne suis pas de Fort-Froid, je ne suis ici que depuis quelques heures." Expliqua-t-elle simplement en guise de réponse, sa voix devenue quelque peu rauque par l'assaut du froid.

"Voulez vous une boisson chaude?"

Encore une fois, la demoiselle ne sut que répondre, méfiante, elle hocha lentement la tête en signe d'approbation. L'homme s'affairait à lui servir un breuvage fumant et elle sentait son regard posé sur elle. Du coin de l’œil, elle l'observa également. Il ne semblait pas sournois et son allure avait quelque chose de franc qui ne lui déplut. Secrètement, elle s'interrogea sur les causes de sa cicatrice. Miladir trouvait les cicatrices d'une beauté toute particulière, elles se faisaient l'écho de la vie, de ses combats, ses victoires et de sa cruauté.

Déposant ses mains autour de la tasse chaude qu'il vint poser devant elle, la jeune femme en apprécia la chaleur et porta le contenu à ses lèvres après l'avoir humé, méfiante. Finalement, il reprit la parole et elle répondit :

"Merci. Il est vrai que tous ne sont pas aussi accueillant que vous." Elle lui rendit son regard et un pâle sourire rehaussa ses lèvres purpurine. "Les étrangers sont plutôt mal vu par ici non ?"

Il était toujours agréable de rencontrer ce type de personne. Tous ne faisaient pas les même efforts envers une autre race que la leur, et elle se demanda ce qui pouvait bien le pousser à agir aussi familièrement avec elle. Voilà qu'il lui tendait à présent une assiette de rôti...

Même si c'était probablement bon signe car il ne serait peut-être pas trop dur à convaincre de se remettre à l'ouvrage...quand même... Niri ne pouvait empêcher une bouffé de reconnaissance de naître envers cet humain, inconnu mais si prompt au partage.

Regardant l'assiette avec fixité sans oser y toucher, elle entendit une nouvelle fois l'homme parler et redressa la tête vers lui. Ainsi, il se nommait Kyril...

"Je suis Niri Miladir." Fit-elle d'un ton autoritaire. "Maîtresse d'arme et Protectrice. Ce qui m'amène ici est purement professionnel...je...ne voudrai pas abuser de votre hospitalité."

C'est cet instant que choisit son ventre pour gargouiller avec insistance. D'un coup, elle sentit toute sa crédibilité s'effriter et elle se racla la gorge. Elle patienta quelques instants, hésitante quant à la conduite à adopter, entre laisser sa faim s'estomper sur le rôti ou bien résister dignement. Finalement, elle préféra ignorer le plat.

"On m'a dit que vous étiez Forgeron." Continua-t-elle d'une voix plus basse, puis désignant du menton les haches du jeune homme. "C'est du très bel ouvrage que vous avez là..."

Ensuite, sa main alla adroitement chercher sous sa cape la longue chaîne au bout de laquelle était accrochée une dague courbe au poids conséquent.

"Avez-vous déjà vu pareille arme ?" Demanda-t-elle en fixant son regard perçant dans celui de Kyril. "La chaîne bien que fine doit être d'une robustesse sans égale pour soutenir le poids et les assauts de la lame... j'aurai besoin de vos talents de forgeron pour me la solidifier..."

Doucement, elle tendit son arme de prédilection au jeune homme, l'étudiant attentivement en se demandant si elle allait devoir essuyer un refus catégorique...

Niri observa avec attention le regard de l'humain venir se poser sur son arme, à cet instant elle aurait juré voir luire une lueur d'intérêt dans son œil. Cela lui sembla être de bon augure. Elle reporta la tasse à ses lèvres, jouissant de la bienheureuse chaleur sans pour autant le quitter des yeux, désireuse de décrypter ce personnage. Elle hocha la tête avec assentiment lors de sa remarque.

"Elle est de facture Éladrine." L'informa-t-elle, une pointe nostalgique dans la voix à la pensée de son pays d'origine, délaissé depuis fort longtemps.  

S'en suivit un silence au cours duquel le jeune forgeron scruta l'arme de tout côtés, tentant estimer son maintient, sa conception. Niri ne put s'empêcher de juger la manière dont il se saisit de l'arme et avec quelle sorte d'aisance il la maintenait. Pour autant, il ne la tenait pas exactement comme il fallait...Niri haussa un sourcil face à sa déformation professionnelle de maîtresse d'armes.

Néanmoins, l'Éladrine était rassurée de voir l'intérêt du jeune homme pour son arme, et se dit qu'elle avait frappé à la bonne porte lorsqu'elle entendit le compliment de Kyril : il mettrait du soin à l'ouvrage, tel qu'elle l'avait espéré.

"Suivez moi jusqu'à la forge, vous me parlerez en chemin de ce à quoi vous vous attendez vraiment."

La jeune femme acquiesça tandis que déjà il se levait, ramenant une lourde cape sur ses épaules. Buvant sa dernière gorgée de chaleur, elle reposa la tasse et entreprit de suivre Kyril subitement si hâtif. Sur son dos elle fixa ses iris glacés avant de passer la porte pour retrouver le froid et l'obscurité de l’extérieur. Il avait beau tenter de cacher son enthousiasme, Niri avait parfaitement entrevue son excitation. Elle fit comme si rien n'était.

De son pas tranquille, elle cala son rythme au sien et vint marcher à ses côtés pour rejoindre son atelier, tâchant d'ignorer le froid mordant. Du coin de l’œil elle observa son profil abîmé qu'elle voyait d'une toute autre manière ainsi éclairé par les rares lanternes de la rue, et qui jetait des ombres dansantes sur son visage. Il ne restait guère plus que quelques silhouettes errante à l’extérieur.

"Il faudrait avant tout adapter la solidité de la chaîne au poids de la lame. Je ne voudrai pas qu'elle rompe lors d'un combat, cela pourrait être fatal."

Ils eurent tôt fait d'atteindre l'atelier qui n'était finalement pas si loin. Et une fois à l'intérieur, Niri ne pouvait empêcher son regard de balayer l'endroit munie de sa curiosité placide. Elle aimait bien les forges, il y régnait toujours une atmosphère agréable et brute. Puis, elle se saisit de l'arme pour ses indications et pointa les endroits affaiblit.

"Il faut veiller à ce que les maillons gardent leur forme particulière de goutte pour empêcher que la chaîne ne se coince...et que celui qui maintient la lame soit plus épais."

Puis elle releva ses yeux sur l'homme et lui remit l'arme entre les mains, la longue chaîne trainant au sol :

"Je vous fait confiance, Kyril." conclut-elle. "Et votre prix sera le mien."

Le forgeron eut tôt fait de se mettre à l'ouvrage. D'une main de maître il alluma ses feus, prépara ses outils, enfila son tablier. Niri acquiesçait lorsqu'il lui faisait part des modifications qu'il comptait opérer. Elle fini par s'appuyer dans un coin, l'épaule collée contre une poutre, les bras croisés, la mine calme. Ses yeux étudiaient avec intérêt les faits et gestes de Kyril: de toute évidence, il connaissait son affaire.

Une heure passa ainsi rythmée par les féroce coups de marteau de Kyril. La chaleur était devenue étouffante et la lourde cape de Niri choyait à présent quelque part à ses côtés. Elle était comme hypnotisée par ce labeur et cette beauté brute qui s'était éveillé en l'humain. Cette peau, chauffée par le feu de la forge paraissait comme embrasée d'un halo doré. Alors, avant même de s'en apercevoir, l'Éladrine s'était retrouvée à quelques pas seulement de lui, quand bien même sa propre peau se retrouvait perlée de sueur..

"Voilà, j'espère que cela vous plaît?"

La jeune femme approcha la main de l'arme, presque hésitante.

"Je vous l'offre, sa m'a fait un réel plaisir de pouvoir travaillé dessus et j'ai pu découvrir une nouvelle arme. Vous n'aurez qu'à me référer si quelqu'un vous demande, ce sera suffisant."

S'empressait déjà de rajouter l'homme.

"C'est curieux..." hasarda alors Niri, caressant distraitement des yeux, l’œuvre encore tiède du forgeron. "J'ai toujours trouvé ça magnifique, l'effort du forgeron, sa passion pour le feu et l'acier..."

Sincèrement impressionnée, elle releva les yeux en même temps qu'elle prenait son arme dans ses mains pour continuer.

"...mais ce qui est plus magnifique encore, c'est de voir la passion transformer l'arme en quelque chose d'unique." Un grand sourire ravi étira ses lèvres tandis qu'elle soupesait l'arme. "Merci Kyril, vous avez dépassé mes attentes."

Puis, sans pouvoir résister plus longtemps, elle entreprit de tester brièvement sa chaîne avec ses nouvelles modifications. Malgré l'espace réduit, elle fit tourner lentement d'abord, puis un peu plus vite l'arme, pour achever en un savant mouvement. Mélange de finesse et de rapidité. Le résultat sembla la réjouir plus encore, l'équilibre et la fluidité étaient parfaites.

"Laissez-moi au moins vous offrir à boire dans l'auberge la plus proche. Il me faut de toute façon m'y rendre tâcher de trouver un emploi."

Avec dextérité, elle accrocha l'arme à sa ceinture et déjà, elle retournait récupérer sa cape sans quitter l'homme du coin de l’œil.