Quelqu'un a dit un jour que plus on sait, plus on doute. C'est peut être ce qui expliquait l'état d'esprit de Fergal, alors qu'il faisait route vers sa patrie. L'Ordre de la Renaissance, la Norpalie, les jeux de pouvoir, les créatures de l'Outre-Monde, le Gantelet, ses compagnons tombés au combat, les épidémies ou les barbares anthropophages, trop de sujets de réflexion qui troublaient ses pensées. Il ne fallait pas être devin pour sentir que le vent était en train de tourner.
Cela faisait bien longtemps qu'Ildirith n'avait pas été un lieu paisible et prospère - l'avait-il déjà seulement été ? Toutefois la situation ne s'était jamais montré aussi sombre qu'en ces jours, pas depuis l’Ère du Grand Cauchemar.

Le Tiefflin avait besoin de se raccrocher à quelque chose ; une lueur d'espoir qui lui assurerait que les gens auxquels il tenait, sauraient vers qui se tourner si l'obscurité se répandait une nouvelle fois sur le monde. Cela lui était nécessaire pour prendre part au combat, l'esprit tranquille.
Le visage fermé et l'air sévère, il réfléchissait à ceux qui pourraient tenir ce rôle. C'était l'un des avantages à avoir beaucoup voyagé, il avait entendu un tas d'histoires, de légendes ou de rumeurs.

Ce fut à cet instant qu'une très vieille histoire lui revint en tête, une sorte de conte qui parlait de preux chevaliers et défenseurs vivant pour garder le continents comme un endroit où justice et paix régnaient.
Il fut un temps où les frères Thanatosian croyaient qu'il s'agissait de la Main Rouge, mais, vivant dans le même royaume que ces illustres combattants, le Varakirois avait compris que ce n'était pas d'eux qu'il s'agissait. D'ailleurs, Zéphyr, avec lequel Fergal en avait beaucoup discuté , était arrivé à la même conclusion. En recoupant leurs informations, ils avaient fini par supposer que cet autre groupuscule devait plutôt se trouver au Bélin, Varak étant une ville bien trop jeune.

Profitant d'être encore dans la forêt des Grands Feuillus, Œil de Sang décida de pousser un peu son enquête. Il avait besoin d'obtenir des réponses et savait comment s'y prendre.
Si un Ordre aussi vieux existait encore à cette époque, il était inévitable que des témoins aient remarqués de fréquent passages d'hommes en armes. Une éventuelle cérémonie, ne serait-ce qu'annuelle, n'était pas à exclure non plus.

C'est ainsi que le défenseur des sables arriva à Lisière, un petit village au nord de la forêt. Le voyageur espérait en apprendre plus ici qu'à Simpliste, dont il revenait à peine. Par chance, il n'avait toujours pas revêtit son armure et sa tenue, bien que vaguement martiale, pouvait le faire passer pour un marchand ou un aventurier itinérant.
Son premier arrêt fut la taverne du coin, quelque soit la taille d'un village humain il y a toujours un endroit où ils peuvent se soûler et, ou se rassembler.

S'approchant de ce qui devait être un aubergiste, le soldat au regard écarlate le salua avant de lui commander un lait de chèvre.

- Bonjour ! Savez-vous où je pourrais trouver des hommes de Justice ? La capitale est encore loin et des mercenaires retiennent mes marchandises dans la forêt. Vous comprenez, si je leur laisse le temps, ils seront déjà loin avant que la garde ne puisse faire quoi que ce soit. Et je risque de perdre une certaine somme.... expliqua-t-il avec une mine dépitée.

Rien ne garantissait la réussite de son subterfuge, mais c'était un plan comme un autre. Il pourrait toujours trouver un autre stratagème si la situation l'exigeait.

La Main Rouge. Ils étaient décidément partout ! C'est du moins ce que se dit Fergal, en entendant la première partie de la réponse de l'aubergiste. Il n'eut néanmoins pas le temps de les récriminer plus longtemps, car son interlocuteur lui faisait signe de se pencher par dessus le comptoir.

Les propos tenus par le gérant du Vieux Loup laissèrent le Varakirois perplexe. S'il était ravi de pouvoir enfin mettre un nom sur cette faction armée, il ne pouvait ignorer que les approcher ne serait pas une partie de plaisir.
Le défenseur des sables était déjà en train de préméditer des manœuvres nocturnes, quand l'homme qui lui faisait face se mit à rire comme un damné. S'attirant par la même un regard suspicieux de la part du voyageur. Après tout, il y avait des cas de rage dans la région et la maladie s'accompagnait également de symptômes comportementaux.

Heureusement pour Ted, il révéla le pot aux roses avant que le jeune Thanatosian ne décide de mettre fin à ses souffrances.

- Pas grave, je crains de ne pas avoir été totalement honnête avec vous, moi aussi. répliqua-t-il alors que le restaurateur s'en allait dans l'arrière-boutique en riant.

Le soldat quitta le comptoir pour aller lire l'affiche des redresseurs. Les rencontrer serait apparemment moins compliqué que prévu, mais la mention d'examens physiques et moraux le laissa pour le moins songeur.
Cependant, le fils de l'Outre-monde considéra qu'il avait plus à gagner qu'à perdre et fit le choix de tenter sa chance. Déposant le règlement de son lait de chèvre sur le comptoir, il quitta l'auberge pour prendre la fameuse route du nord.

La lune était déjà haute, quand l'homme à la chevelure brune arriva en vu du château. Furtivement, il essaya d'en faire le tour pour estimer le nombre des hommes qui s'y trouvaient, ou encore tenter d'aperçevoir des installations qui le renseigneraient sur la teneur de l'épreuve. Puis une fois ses manœuvres d'approches terminées, il marcha d'un pas décidé vers l'entrée, espérant y rencontrer des gardes qui pourraient le renseigner.

Tel un diable sortant de sa boîte, le Tiefflin pénétra dans le pâle halo des torches. Son regard écarlate croisa celui d'un homme en pleine force de l'âge, dont les caractéristiques physiques pouvaient laisser à penser qu'il était bélinois. Instinctivement, Fergal perçu le petit moment de flottement qui accompagna le sursaut du garde. Dans d'autres circonstances, il en aurait profité pour lui passer son cimeterre au travers de la gorge. C'est ce qu'on lui avait apprit à faire lors de ses classes dans l'armée varakiroise, afin de tirer le meilleur parti de son ascendance si particulière.

Ce n'était toutefois pas son intention cette nuit là. Ici, face à ce château, il n'était pas un Arrache-sable envoyé pour tuer sans poser de question, il était juste Fergal Thanatosian, un homme qui avait besoin de réponses.
C'est pourquoi il se contenta d'écarter les bras de manière à ce que les gardes puissent surveiller ses gestes. Puis, il prit la parole, brisant le silence pesant de sa voix cristalline.

- Je suis Fergal Thanatosian, je viens du Varakir. J'ai vu votre affiche au Vieux Loup et je souhaitais en savoir plus sur votre Ordre, c'est pourquoi j'ai emprunté la route du nord qui m'a mené jusqu'à vous. J'avoue avoir un peu sous-estimé la longueur du trajet, aussi je m'excuse de faire irruption au milieu de la nuit. ajouta-t-il avec un petit sourire gêné.
Je suis prêt évidemment prêt à me soumettre aux examen physiques et moraux nécessaires à vous prouver ma bonne foi.

Le jeune homme avait conscience d'être un candidat un peu hors norme. Outre le fait qu'il était déjà engagé au sein d'un autre corps armé, il n'était pas certain de vouloir rejoindre les Redresseurs. Pour l'heure, une seule chose comptait, en savoir plus sur les mystérieux habitants du château qui le dominait de toute sa hauteur.

A en croire l'attitude du plus loquace des deux gardes, qui venait de relâcher le pommeau de son épée, Fergal ne devait pas avoir commis d'impair. Il en fut presque rassuré jusqu'à ce que le bélinois ne prononce une phrase pour le moins énigmatique.
Le Tiefflin avait beau se remémorer ses dernières paroles, il ne voyait pas en quoi il avait pu laisser une telle impression. Certes, il avait songé être dans une situation particulière, d'ailleurs à moins qu'il n'y ai des Arrache-sable derrière le portail c'était bien le cas, mais il n'avait fait qu'y penser. Peut-être que quelques-uns des Redresseurs étaient capable de lire dans les pensées ? Le jeune Thanatosian avait déjà entendu des histoires prétendant que certains étaient dotés de cette capacité.

Cette simple phrase suffit à éveiller sa méfiance, il réalisa alors qu'il était venu jusque là sans se méfier. Il était en quête d'une chimère et n'avait pas songé un seul instant qu'il pouvait s'agir d'un piège tendu par le Gantelet, ou Litrish seul sait qui.
Dès lors, il mit tous ses sens aux aguets, même les encouragements de son interlocuteurs ne purent le rassurer.

Docilement, il s'engouffra sur le chemin pierreux qui les mena jusqu'à une majestueuse porte en bois. C'était un véritable comité d'accueil qui l'attendait derrière la porte. Pénétrant dans la lumière et la chaleur de la pièce, le défenseur des sables se demanda s'il s'agissait de l'épreuve physique. Allait-il devoir affronter tous ces hommes en une seule fois ?
Un duo, composé d'un Aasimar et d'un Nain, lui apporta la réponse, en se portant vers lui pour le saluer. Si combat il devait y avoir, ce ne serait pas pour tout de suite.

Le brunet rendit son sourire et ses salutations à l'homme aux yeux d'or, ...même s'il n'avait absolument aucune confiance en lui. Trop accoutumé à vivre dans une caserne en compagnie de soldat taciturnes ou bourrus, l'attitude si avenante de son hôte ne put qu'éveiller un peu plus sa méfiance.

- C'est à moi de vous remercier pour votre hospitalité ! commença-t-il en s'inclinant légèrement. J'avoue avoir de nombreuses questions à vous poser, mais je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps pour cette nuit. déclara-t-il tandis qu'un domestique se portait à sa hauteur.

Puis sans oser poser la moindre question, le varakirois s'en alla derrière le serviteur en adressant un dernier salut aux autres personnes présentes.

Arrivé dans sa chambre, Œil de Sang inspecta rapidement les lieux. Il se dévêtit pour faire une toilette rapide, mais ne toucha pas à la nourriture à disposition. Il était habitué aux longues périodes de jeun et avait prit un repas avant d'arriver à Lisière.
Clairement, il ne savait pas s'il était entouré d'amis ou d'ennemis et dans le doute, il préféra faire preuve de prudence. C'est pourquoi il délesta le plateau de son contenu, avant de le déposer en équilibre sur le dessus de la porte. Une petite précaution qui l'avertirait d'une visite nocturne.

Le lendemain, Fergal se leva avant l'aube. Il se débarbouilla et se vêtit de l'une des tenues mises à disposition, avant d'y superposer les différentes pièces de sa cuirasse en peau épaisse. Suite à quoi il prit ses armes, Froid-Silence et Brise-Foi, avant de sortir de sa chambre pour rejoindre la pièce où il avait été accueillit la veille.

Ils étaient tous là, prêt et impatient d'assister à la suite des évènements. Fergal fit son possible pour saluer tout le monde, mais rendit vite les armes. Il n'était pas là pour faire la causette et les deux colosses qui se portèrent à ses côtés le lui firent clairement comprendre. Aussi docilement que la veille, il se laissa entraîner jusqu'au Nain qu'il avait déjà rencontré la nuit dernière.

Ce dernier, visiblement très enthousiaste, s'enquit rapidement de l'état de forme du challenger du jour, avant de lui exposer en quoi consisterait son épreuve. Tout en l'écoutant le Tiefflin eut tout le loisir de contempler son adversaire, si ses dernières années passées dans l'armée l'avait amené à côtoyer une grande diversité d'adversaires, les ours n'en faisaient pas parti. Et encore moins des ours de cette taille.
En réalité, les seuls fois où il avait pu approcher de telles créatures remontaient à son enfance, où son père avait abattu de tels ursidés pour faire le commerce de leurs peaux.

Œil de Sang remit ses armes au redresseur le plus proche, alors que le départ de l'épreuve allait être donné d'une seconde à l'autre.
Le hurlement de Jafar s'éleva bientôt, suivit de celui plus guttural de Gorgoth. Le jeune Thanatosian ressentit une certaine fébrilité dans la foule, ce qui l'étonna de la part des plus jeunes, ces derniers ayant dû récemment subir une épreuve similaire pour entrer dans l'Ordre.

Mais au delà de ce paradoxe, ce qui l'ennuyait vraiment était d'être opposé à cet ours. Le Varakirois n'était pas homme à combattre pour le plaisir, il était un tueur et combattait uniquement pour sauver sa vie ou prendre celle d’autrui. Les démonstrations de force et autres manifestations de vanité n'étaient pas vraiment de son goût.
Aussi haussa-t'il un sourcil, d'un air blasé, avant de s'adresser à Jafar.

- Vous voulez "réellement" que j'envoie ce pauvre animal innocent au tapis ?... Si c'est ce que vous voulez alors je m'exécuterai, mais je trouve ça franchement cruel pour cet ours. termina-t-il en tournant autour de Gorgoth.

La déclaration du Nain rassura vaguement Fergal, qui regretta tout de même de ne pas pouvoir "décoiffé" la moustache de Jafar. Ce dernier avait beau dire ce qu'il voulait, pour le tiefflin cela ne changeait rien au fait qu'il devait affronter un ours à main nu devant une foule de spectateurs.
Il n'eut toutefois pas le temps d'y penser plus longuement, car Gorgoth se jetait déjà sur lui.

Le Varakirois qui tenta une manœuvre d'esquive, fut tout de même entraîné au sol par le poids de son assaillant. Finalement, le fait que l'animal se soit vu retirer les griffes était vraiment une bonne chose, dans la mesure où il s'était saisit de la jambe de son adversaire, qui pu la retirer avant de se faire mordre.

S'il avait eu son arme, il aurait pu tenter de rivaliser en attaquant directement l'un des points vitaux de la bête fauve. Seulement, la règle voulant que le sang ne coule pas aurait été largement enfreinte.
La strangulation ou l'immobilisation aurait été envisageable, mais le jeune Thanatosian ne disposait d'aucune entrave assez résistante. Il avait bien songé à arraché une partie de sa tenue, mais le tissu n'aurait jamais pu contenir la puissance d'un tel monstre.
Le combat au corps à corps était tout aussi inenvisageable, pour la même raison. Sans parler des risques de morsures.

Œil de Sang cherchait toujours un moyen de contraindre la créature, quand cette dernière chargea à nouveau. Le souffle coupé par l'impact, le jeune homme fut plaqué au sol par Gorgoth, qui l'immobilisa en saisissant son épaule dans sa gueule.
La cuirasse en peau épaisse, lui donna les quelques secondes de réaction nécessaires pour se soustraire à cette prise. Son épaulette en revanche, resta dans la gueule du plantigrade. N'y prêtant guère attention, l'arrache-sable se servit de ses deux jambes comme d'un levier pour faire basculer l'ours afin de se relever.

Le souffle court et légèrement chancelant, il tenta de retrouver une certaine contenance, sans pour autant perdre son adversaire des yeux.
Le jeune soldat n'eut pas le temps de retrouver une respiration normale, que le prédateur chargeait de plus belle. Préférant l'efficacité au style, Fergal plongea au sol pour éviter cette nouvelle attaque. Une chose était certaine, il n'aurait plus la force nécessaire pour se soustraire une nouvelle fois à l'emprise de Gorgoth.

- C'est absurde ! soupira-t-il. J'abandonne. Vous avez réellement cru, ne serait-ce qu'une seule seconde, qu'un homme pouvait vaincre un ours à mains nues sans le blesser ? En tous cas une chose est sûr, je ne suis pas cet homme. expliqua-t-il calmement, tout en se dirigeant vers l'homme auquel il avait remis ses armes.

Le plus dingue dans tous cela, c'est que Fergal en venait presque à trouver la Main rouge sympathique. Au moins quand il avait envisagé de postuler chez eux, ils ne l'avaient pas prit pour un saltimbanque.

Fergal rattrapa ses armes au vol, en manquant au passage de laisser tomber son fauchard. Face à lui, un Jafar furibond qui comptait bien lui expliquer sa façon de penser.
Ignorant volontairement le passage où le Nain le traita de pleutre, le jeune soldat écouta patiemment la suite du discours. Il dut se mordre l'intérieur de la lèvre, pour ne pas se mettre à hurler lui aussi.
Entendre le moustachu lui faire la leçon sur le mal qui planait sur les terres d'Ildirith lui révulsait l'estomac. Il n'était pas plus bête qu'un autre et avait déjà été le témoin de nombreux drames. Sans parler que, de par son rôle au sein de l'armée, il avait été largement briefé sur les coups de couteau dans le dos. C'était en autre pour ça qu'il ne faisait que très moyennement confiance à cette bande d'homme armés qui tenaient à le voir se faire déchiqueter par un ours.

Puis le Nain continua à récriminer le Tiefflin et le questionna sur ses motivations, avant de lui faire remarquer qu'il ne mettait pas assez de cœur à l'ouvrage.
Inévitablement, il n'en fallut pas plus pour réveiller l'impulsivité du jeune homme qui adopta le ton de son interlocuteur.

- Figurez-vous que, moi aussi, je me demande ce que je suis venu faire ici ! J'aurais dû aller directement voir la Main Rouge, ça aurait été tout aussi décevant, mais au moins je n'aurais pas eu à faire un si long voyage. Entre les actions du Gantelet et de l'Ordre de la Renaissance, les témoignages sur les goules qui se rassembleraient dans le sud et les rivalités entre les royaumes qui n'arrangent rien, j'avais besoin de savoir que des personnes de confiance existaient quelque part. Besoin de savoir que les personnes auxquelles je tiens trouveront toujours des hommes de valeur, pour s'interposer entre eux et le Mal et cela même si venait à périr en défendant mes valeurs. Alors oui peut-être que je m'étais un peu mis le doigt dans l'œil et peut être que je ne suis pas à la hauteur de ce que vous espériez, mais on ne m'a pas formé pour devenir montreur d'ours ! Que cela vous plaise ou non, je suis un Arrache-sable avec tout ce que cela implique. Les jeux du cirque, très peu pour moi ! aboya-t-il avant de plaquer ses armes contre le buste de Jafar.
Mais je ne voudrais surtout pas avoir fait perdre leur temps à des "Hommes de cœur" comme vous ! finit-il en se tournant vers Gorgoth.

Le fils de la pierre n'avait pas tort, Œil de Sang était quelqu'un de têtu. Il avait beau être un combattant correct, il était encore jeune et aurait sans doute besoin d'engranger de l'expérience avant de devenir sage. Mais le stratagème du Terovien avait fonctionné et le cadet Thanatosian ne comptait visiblement plus capituler.
Le visage fermé et d'un pas assuré il se dirigea vers l'énorme animal, tout en arrachant sa tunique. Torse nu, il entortilla le vêtement sur lui même avant de le passer dans l'un de ses brassard en cuir, qu'il venait de retirer. Il fit ensuite tournoyer le tout, en courant vers Gorgoth.

La puissante créature se jeta sur lui une nouvelle fois et le Varakirois l'esquiva comme les fois précédentes. Seulement, cette fois il lança l’étoffe autour du cou de son opposant, tout en gardant une extrémité dans la main. Sous le poids du brassard, l'autre bout revint à lui et il pu bientôt tenir le tout comme une paire de rêne.
L'ursidé tenta bien de se soustraire à cette prise, mais ses gesticulations ne firent que permettre à son agresseur de se hisser sur son dos. Privé de ses griffes, il ne put entailler son entrave, qui était placée hors de portée de ses terribles mâchoires.

Commença alors une véritable épreuve d'endurance pour Fergal. Il devait à la fois maintenir ses jambes tendues pour rester en en place sur le dos de l'animal, tout en entortillant l'étoffe pour resserrer peu à peu son étreinte.
Gorgoth se leva, se remit à quatre pattes, se lança dans un sens puis dans l'autre, mais son instinct animal ne lui permit pas de se calmer pour réfléchir à la meilleure façon de se débarrasser de l'arrache-sable.
Ce dernier poursuivit sa manœuvre et bientôt l'ours s'écroula au sol, à moitié conscient, la respiration lourde et ronflante.

Fergal se laissa tomber sur le côté, hors d'haleine, le visage ruisselant de transpiration et les muscles complètement tétanisés. Il resta étendu sur le dos un moment, avant de se redresser avec peine pour s'adresser à Jafar.

- Cela vous convient-il, ou faut-il que je m’arrache le cœur pour l'étouffer avec ? lui demanda-t-il, une lueur ardente dans le regard.

Fergal avait l'impression d'être passé dans l'Outre-monde. Il était toujours assis à même le sol, face à un Jafar hilare et une foule enthousiaste, alors qu'ils étaient tous prêt à le jeter dehors quelques minutes plus tôt. Le soldat ne se faisait d'ailleurs aucune illusion quand au fait que sa victoire soit plus dû à l'obstination du Nain, qu'à sa propre ténacité.
D'ailleurs savoir qu'il ne s'agissait que de l'épreuve morale ne le réjouissait qu'à moitié. Outre qu'il soit complètement épuisé, il avait clairement l'impression d'avoir échoué. Cette piètre victoire était plus celle du moustachu que de la sienne. Fergal songea alors, que le petit homme devait être un meneur d'exception.

Mais très vite l'attention du jeune homme se tourna vers Gorgoth qui se remettait doucement lui aussi de cette petite séance physique. Le Tiefflin ne pouvait que constater avoir remporté cette épreuve au dépend de la créature. Il se doutait que son soigneur allait veiller à ce qu'il se rétablisse, mais cela ne pouvait totalement occulter sa culpabilité.
Toujours aussi fatigué et vaguement écœuré, le Varakirois se releva pour boire un peu de l'eau qui lui était offerte. Il emboîta ensuite le pas aux deux inconnus, impatient de pouvoir s'isoler et souffler un peu.

C'est alors qu'il se sentit retenu par le bras, au moment même où il allait quitté la pièce. Remontant lentement les yeux, de la main à la tête de son propriétaire, le regard d' Œil de Sang croisa celui d'un Aasimar qu'il trouva presque aussi suspect que son aîné de la veille.
Toutefois, estimant que son identité n'avait rien de confidentielle, il fit le choix de répondre à l'homme aux yeux d'or.

- Je me nomme Fergal Thanatosian, Sir Alin. Et je n'ai rien d'un champion... lâcha-t-il avec froideur en disparaissant derrière les hautes silhouettes de ses guides.

Revenu à sa chambre, l'homme du désert s'assit lourdement sur son lit. Il entreprit alors de masser ses muscles endoloris pour les dénouer, laissant vagabonder son imagination vers les confins dansant du désert de Varak. Les minutes s'égrainèrent et le jeune Thanatosian ôta ses vêtements, ou ce qu'il en restait, pour faire une rapide toilette. Puis il se laissa tomber dans son lit où, éreinté physiquement et moralement, il s'enfonça rapidement dans un sommeil sans rêve.

Le goût sucré des baies se mêlait à celui des épices et de la viande dans une douce harmonie qui émerveilla le palais du petit garçon aux yeux rouges. Levant le nez de son bol de ragoût, le petit Tiefflin adressa un regard enthousiaste à son père qui lui répondit par un sourire et une petite caresse sur le sommet du crâne. Alors qu'il allait retourner à son plat de viande, un coup de coude dans son flanc poussa Fergal à se tourner vers Faolan qui se tenait à sa gauche.

« Regarde, là-bas, je suis sûr d'avoir vu quelque chose !

- C'était surement un blaireau, Papa a dit qu'il y en avait beaucoup dans le coin !

- Non, je suis sûr que c'était quelque chose de rare ! Finis vite ton assiette, il ne doit pas être allé bien loin ! »

Il ne fallut que quelques cuillerées pour que les deux garnements expédient leurs assiettes respectives. Ils demandèrent alors la permission d'aller jouer un peu plus loin à leur père. Ce dernier leur accorda à condition qu'ils restent dans l'enceinte du camp.
Le temps de remercier la gentille Dame Meryl pour son succulent repas, puis de détacher Mauvaise, l'un des chiens de Sisyphe et les voilà en train de se glisser dans les fourrés qui bordaient le clairière, où la caravane faisait halte pour la nuit.

« Là ! Des traces ! Il ne doit plus être très loin !

- Ce sont des traces de quoi ? Pas d'ours, j'espère ? Papa a dit qu'on ne devait pas s'approcher des ours !

- Ne fais pas le bébé ! De toutes façons ce sont pas des traces d'ours ! Je suis sûr que c'est un chat sauvage ! Si c'est une femelle et qu'elle a des petits, on pourra en prendre un pour le domestiquer et le revendre ensuite, quand on arrivera au grand marché de Varak ! »

Le cadet n'eut toutefois pas le temps de donner son avis sur le plan de son aîné, car un craquement de branche attira leur attention à tous les deux. Instinctivement, les deux frères s’accroupir pour disparaître derrière les grosse racines qui les entouraient. Tendant l'oreille, Faolan identifia rapidement la source du bruit. Il montra la direction à son petit frère, avant de se mettre en mouvement. Progressant lentement, en restant sous le couvert des racines, des branches basses ou des buissons, les frères Thanatosian parvinrent jusqu'à un sentier forestier. C'est là qu'ils la virent, une goule, qui semblait se diriger vers leur campement.
Aussitôt, un autre bruit de pas raisonna plus loin sur leur droite. Visiblement, le monstre n'était pas seul, ce qui était loin d'être une bonne nouvelle !

Les enfants s'empressèrent alors de retourner vers le groupe de commerçants et voyageurs, afin de raconter ce qu'ils avaient vu. Mais soudainement, Fergal sentit quelque chose lui attraper les cheveux. Étouffant une exclamation de terreur, il bascula en arrière. Une goule venait de se saisir de lui, mais elle fut saisit à son tour par Mauvaise qui lui déchiqueta littéralement la cheville. Tombant au sol à son tour, la créature continua de ramper vers le jeune garçon qui se débattait pour échapper à son emprise, en lui assénant une pluie de coups de pieds. Une pierre s'abattit alors sur le crâne du mort-vivant, tandis qu'un Faolan haletant le surplombait.
Le trio ne perdit pas un instant pour reprendre la route du camp. Ce furent des cris qui leur apprirent qu'ils n'étaient plus très loin.

Un petit groupe d'une demi-douzaine de goules avait attaqué la caravane, offrant un spectacle morbide aux yeux des Tiefflins qui venaient enfin de sortir du sous-bois. Un homme de haute stature abattit alors sa hache sur le crâne de l'une des créatures, qui s'écroula sur le champ. Tandis qu'une voix interpella les enfants. Il s'agissait de Sisyphe qui leur criait de venir se mettre à l'abri dans la roulotte où ils avaient rassemblé toutes les personnes incapables de combattre.
Faolan se rebella et répondit que lui aussi voulait défendre le camp, avant de se ruer vers la mêlée. Une voix rauque le stoppa dans sa course, Ternoc, du haut de ses deux mètres, ordonna à son aîné d'aller mettre son petit frère à l'abri. Le turbulent garnement ne songea même pas une minute à désobéir et revint sur ses pas pour entraîner son frangin vers le chariot protégé par un groupe de marchands armés. Durant sa course, Fergal regarda derrière lui et crut apercevoir une silhouette tapie dans l'ombre, en lisière de la clairière. Une ombre qui souriait. Une ombre qui lui souriait !


C'est avec ces images en tête que Fergal s'éveilla, il mit quelques secondes pour réaliser où il se trouvait. Quittant son lit pour se préparer à la journée qui l'attendait, il réalisa quelques étirements pour évaluer sa récupération suite à l'épreuve de la veille. Heureusement pour lui, l'entraînement martial qu'on lui imposait depuis qu'il était entré dans l'armée du Varakir lui avait permis de s'en sortir avec seulement quelques légères courbatures.
Le temps de pratiquer ses ablutions matinales et il put enfiler l'une des tenues mises à disposition par ses hôtes. Ignorant ce qu'on allait lui faire subir aujourd'hui, il opta pour quelque chose de polyvalent.

L'esprit encore un peu embrumé par sa nuit, le Tiefflin s'appuya contre le montant de la fenêtre pour regarder les dernières volutes incandescentes du soleil levant. Savoir que ceux qui lui étaient cher étaient baigné par les rayons du même soleil lui apportait un certain réconfort.
C'est alors qu'il entendit la porte s'ouvrir derrière lui, puis quelqu'un lui adressa la parole. Pivotant pour faire face à son interlocutrice, le jeune Thanatosian fut surprit de se trouver face à une jeune femme. Ne souhaitant toutefois pas se montrer impoli ou offensant, il masqua son étonnement et s'abstint de toute remarque qui aurait pu être mal interprétée.

« Bonjour ! commença-t-il d'une voix claire et posée. Êtes-vous venue pour m'apprendre la nature de ma prochaine épreuve ? » demanda-t-il avec curiosité, en sondant de ses yeux écarlates celle qui lui faisait face.

Au premier abord, Œil de Sang crut qu'il avait affaire à une émissaire chargée de venir lui donner les détails de l'épreuve qu'il allait devoir surmonter, ou du moins lui indiquer où il devait se rendre pour le savoir. La femme qui lui faisait face semblait hésitante, légèrement troublée. Mais il n'en était rien. Cette mystérieuse inconnue révéla très vite son identité : Silvia Saedon, grande protectrice et Dignitaire de l'Ordre des Redresseurs.

Le Tiefflin haussa immédiatement un sourcil. Était-il possible qu'on lui mente ? S'agissait-il d'une épreuve pour évaluer sa perspicacité ?
Il s'attendait plutôt à trouver un homme d'âge mûr, sage, débordant de charisme. L'un de ces hommes capables de vous figer sur place d'un simple regard. Toutefois, il était mieux placé que quiconque pour savoir que juger un livre à sa couverture était rarement une bonne idée. Aussi préféra-t-il prendre cette information pour argent content, il estima qu'il aurait bien assez tôt l'occasion de jauger comment les autres redresseurs se comportent face à son interlocutrice. Et puis, si c'était la vérité, cela voulait dire que cette Silvia devait être encore plus redoutable que ce que son statut pourrait laisser penser. Ne dit-on pas qu'il faut se méfier de l'eau qui dort ?

Resserrant les sangles de l'un de ses longs bracelets de cuir, Fergal continua néanmoins d'écouter les propos qui lui étaient adressés. La dernière remarque lui fit redresser la tête, l'amenant à fixer Dame Saedon droit dans les yeux. Il se demandait si elle était sérieuse, ou si c'était une boutade. Il eut alors un petit sourire sans joie et reprit la parole à son tour.

« Pardonnez moi de vous contredire, mais celui qui s'est montré le plus impressionnant hier, c'était Jafar ! S'il ne s'était pas montré aussi... "persuasif", je pense que j'aurais laissé tomber ! D'ailleurs, même si je comprends le pourquoi de cette épreuve, je continue à penser que mêler un pauvre ours à ça est vraiment cruel ! continua-t-il avec sa franchise habituelle. »

L'homme des sables se tourna ensuite à nouveau vers la fenêtre, de sorte qu'il n'était plus que de trois-quart face à la Dignitaire. Et tandis que son regard mélancolique se perdait dans le paysage qui s'étalait derrière l'ouverture, il se demandait s'il devait réellement considérer cette épreuve comme sa réussite ? Il n'aimait pas l'échec et c'était bien le goût amère d'une défaite que lui avait laissés les événements de la veille.
Cependant, contient que ressasser le passé ne l'aiderait pas à avancer, il songea que la prochaine étape lui donnerait peut être l'opportunité de se rattraper. Après tout, on attendait de lui qu'il se comporte comme un "Champion" !

Il tourna une nouvelle fois la tête vers Silvia et s'adressa alors à elle en la fixant froidement.

« Mais je suppose que vous n'êtes pas venu là simplement pour me complimenter ! Il doit plutôt s'agir d'un entretient de routine, pour pouvoir cerner vos nouvelles recrues. Je dois avouer que cela m'étonnait de ne pas encore avoir subi d'interrogatoire ! Alors, que voulez-vous savoir ? demanda-t-il avec un visage impassible. »

Les paroles de Silvia touchèrent Fergal, qui les trouvait sincères et sans artifice. Il préférait largement ça à un discours tout prêt, qu'on servait à tout le monde sans discernement.
En outre, cela lui permit de réaliser l'une de ses erreurs. En arrivant, il avait cru qu'on le mettait "en quarantaine", afin qu'on puisse s'assurer de ses bonnes intentions, sans qu'il ne puisse mettre le nez partout et risquer qu'il n'espionne l'Ordre pour le compte d'une tierce personne. Mais en réalité, il n'en était rien. Était-ce l'habitude de servir pour une armée qui ne tolérait pas la trahison, ou devait-il y voir la preuve qu'il n'était pas devenu aussi sociable qu'il le pensait ? Toujours est-il qu'il regretta soudainement d'avoir rater l'occasion de discuter avec Jafar, Alin, ou d'autres. Une expression contrite s'afficha alors sur son visage hâlé, tandis qu'il recula pour s'asseoir sur son lit.

« Croyez bien que je suis navré, si mon attitude vous a donné cette image de moi ! J'avoue avoir pensé que vous ne souhaiteriez pas voir un intrus se promener dans vos couloirs, tel un espion à l’affût du moindre renseignement ! »

Le Tiefflin se tut ensuite, toisant Dame Saedon comme s'il cherchait à voir au travers de sa personne, comme si ses yeux écarlates étaient capables de sonder son âme depuis les tréfonds de l'éternité. Il ignorait à quel point il pouvait lui faire confiance, mais puisqu'elle s'était ouverte à lui, il estima pouvoir en faire autant.

« Il y a longtemps, lorsque j'ai quitté ma famille pour voler de mes propres ailes, je rêvais de devenir l'un des membres de la Main Rouge. J'avais d'eux une image naïve, celle d'un enfant qui les imaginait capable de sauver Ildirith à eux seuls. Ils étaient mes héros et j'étais prêt à risquer ma vie pour servir à leurs côtés.
J'ai donc voyagé depuis les terres des Nains où nous séjournions alors, jusqu'à Varack et je suis arrivé en ville alors que le soleil se couchait. Je me suis arrêté dans la première auberge sur ma route, un endroit peu luxueux qui allait bien avec mes faibles finances de l'époque. Je venais de réserver une chambre et de commander un lait de chèvre, quand ils sont entrés. Ils étaient trois. Trois hommes en armes, vêtus de la célèbre cape rouge. Je crois que mes yeux se sont mis à étinceler ! avoua-t-il en riant de lui même.
Je suis donc allé vers eux, en leur expliquant que je souhaitais devenir l'un des leurs. Une très mauvaise idée... Ils ont vu en moi ce que j'étais à l'époque, une sorte de grand échalas maigrelet tout juste débarqué du fond de sa forêt. Et ce n'étaient pas ma tunique élimée ou mon pantalon rapiécé qui allaient me redonner un peu de crédit à leurs yeux ! Bref, ils m'ont ouvertement rit au nez et m'ont envoyé voir ailleurs, en m'expliquant de manière forte imagée qu'ils n'avaient pas besoin de personnes dans mon genre... Avec le recul, je me rends compte qu'ils devaient tout juste rentrer d'une mission éprouvante et qu'ils cherchaient certainement un endroit où souffler tranquillement ; mais j'étais jeune et à l'époque je me suis juste senti vexé. Alors je suis retourné à ma place en essayant de ne pas craquer... de ne pas me faire remarquer... continua-t-il avec un regard absent.
A peine un quart d'heure plus tard, un autre groupe d'hommes est entré. Ils ont d'abord cherché à se faire discret et dès qu'ils ont estimé que les soldats capées avaient suffisamment bu, ils sont passé à l'attaque. Malgré tous le trio a réussi à leur tenir tête, ils étaient mieux entraînés et avaient les bons automatismes. C'est alors qu'il y eu une fausse note. L'un des assaillants avaient feint d'être assommé, pour frapper l'un des hommes de la main rouge par derrière. J'avais déjà assisté à une scène du même genre, bien des années auparavant. expliqua-t-il alors qu'une lueur rageuse luisait dans ses yeux. Je me suis concentré et j'ai pu projeter le spectre d'une corneille, qui fonçait droit sur le visage du lâche. Ce dernier s'est débattu pour chasser l'oiseau qu'il croyait sur lui et cela a alerté sa cible , qui a pu le passer au fil de son épée. Je ne m'étais pas manifesté, je n'avais rien dis et les combattants n'y ont vu que du feu. Ils n'ont jamais su que j'étais mêlé à ça. Seulement, nous n'étions pas seul. Il y avait notamment un ancien soldat de l'Evesthuram, un homme expérimenté et d'une grande intelligence. Il avait tout vu et a su analyser ce qui s'était passé. Alors une fois le combat terminé et les fauteurs de troubles arrêtés, ce vénérable soldat est venu me voir. On a longuement discuté et le soir même j'allais dormir dans les quartiers de l'armée du Seigneur Dagathor.
Je ne regrette pas cette décision, j'ai trouvé l'occasion de faire mes preuves et la formation martiale que je recherchais. Puis le peuple de Varakir et son souverain méritent d'être protégé. Seulement, vous comprendrez maintenant que je ne souhaite plus me leurrer et qu'il me faut plus que de belles intentions brandies en étendard ! Je ne vous vois pas comme de mauvaises personnes, mais je souhaiterai simplement savoir concrètement dans quoi je mets les pieds. Vous avez raison de dire que le peuple souffre et vu ce que j'ai vu ces derniers temps, cela ne fait que commencer ! Alors j'ai besoin de savoir que quoi qu'il m'arrive, il y aura toujours des Hommes justes pour veiller sur ceux qui me sont chers. Et cela sans s'arrêter à des considérations territoriales ! »

L'homme du désert garda ensuite le silence pendant quelques secondes, comme s'il avait dépassé le nombre de mots qu'il pouvait prononcer. Il regarda à nouveau Silvia dans les yeux, sans agressivité, sans amertume et sans jugement. Un cœur ouvert qui s'en remettait à un autre, sans s’embarrasser de considérations hiérarchiques ou militaires.

« Le plus ironique dans tout ça, c'est que je vois les hommes de la Main Rouge aller et venir presque tous les jours depuis bientôt dix ans. Mais au delà de mes considérations personnelles, je sais ce qu'ils font et les combats qu'ils livrent. Mais qu'en est-il des Redresseurs ? Qu'avez-vous prévu de faire pour préserver le peuple des goules, qui se rassemblent dans le sud du continent ? Quel est votre but ? Je ne suis pas parfait moi non plus et j'aimerai pouvoir considérer cet endroit comme un refuge, mais c'est impossible si je ne sais pas exactement à qui j'ai affaire ! conclut-il calmement. »

Son interlocutrice se disait honorée, mais Fergal l'était tout autant, si ce n'est plus ! Il avait bien conscience du caractère exceptionnel de cette dérogation. Etre dispensé d'une épreuve était une chance qu'il savait apprécier à sa juste valeur. Aussi, après s'être légèrement incliné en signe de remerciement pour ce geste de confiance, se contenta-t-il de sagement suivre la Dignitaire en silence.

Le duo emprunta alors une succession de couloirs, qui s'enfonçaient dans les galeries souterraines du fort. Suivant la lueur dansante de la torche, le Tiefflin, qui s'étonnait des dimensions du repaire, tenta de mémoriser la route.
Une fois parvenu à destination, le jeune Thanatosian adressa un regard curieux à l'intention de son guide. C'est avec une expression à la fois ébahie et amusée, qu'il observa la porte de pierre disparaître en réponse à l'incantation de la jeune femme. Ce n'était toutefois rien en comparaison de ce qui l'attendait de l'autre côté !
Bibliothèques, tables, parchemins, coffres et armures s'étendaient à perte de vue. Il se sentait l'âme d'un enfant dans une confiserie. Encore un peu et il se serait presque mis à trépigner sur place, devant une telle armurerie. Il n'avait qu'une envie, aller empoigner chacune de ces armes, feuilleter chacun de ces ouvrages ou entrouvrir chacun des coffres pour découvrir ce qu'ils recelaient. C'est donc débordant d'enthousiasme qu'il posa les yeux sur l'immense bannière, soudainement conscient de l'aura qui entourait cet humble symbole. 

Le sourire aux lèvres, il ne manqua pas de répondre aux salutations silencieuses qui lui étaient adressées. Constatant par la même occasion que son accompagnatrice jouissait d'une considération à la hauteur de son rang.
Toutefois, les déclarations de Silvia lui ramenèrent bien vite les pieds sur terre. 

A la lumière des informations dont il disposait à présent, toutes les bibliothèques qui s'étalaient sous ses yeux prenaient une toute autre ampleur. Il devinait presque la présence de tous ceux qui avaient consacrés leur vie à amasser tout ce savoir. Heureusement, ils n'avaient visiblement pas œuvré en vain, puisque leurs héritiers spirituels étaient sur le point de faire une découverte majeure. De quoi changer la face d'Ildirith à jamais !
Autant dire que, sous le choc de l’annonce, l’Arrache-sable était encore perdu dans ses pensées quand son hôte reprit la parole. Il lui fallut donc quelques secondes de plus pour enregistrer ces informations supplémentaires. C’est donc avec un temps de retard, alors que la Dignitaire allait se retirer, que le Tiefflin répondit à sa question.

« Euh... Oui... oui, avec plaisir ! Nous nous verrons sûrement dans la salle commune à l’heure du repas ! » lui répondait-il en acquiesçant, alors qu’elle quittait la salle du Grand Savoir.

Son attention se reporta alors sur l’homme qu’on lui avait désigné. Le dénommé Archibald se tenait assis à une table, le nez plongé dans un rouleau de parchemin. Fergal s’approcha de lui en laissant courir son regard le long des étagères qu’il longeait. Interpellé par quelques titres, il percuta pratiquement le coin de la table du redresseur. Ce dernier releva son regard d’un bleu cristalin sur l’homme qui lui faisait face. 
Le Varakirois put alors le détailler du regard. La trentaine déclinante, une fine cicatrice descendant de son œil droit le long de sa joue, les cheveux noirs tombant sur sa nuque, large d’épaules, le teint hâlé et les traits burinés ; l’homme dégageait cette aura propre aux personnes riches d’expériences et de connaissances. Visiblement, il ne s’agissait pas d’un simple soldat tout juste bon à servir de chair à canon, mais bien d’un guerrier aguerri, à l’esprit tout aussi affûté que sa lame.

« Puis-je vous aider ? demanda-t-il à l’étranger, qui se tenait face à lui sans dire un mot.

- Pardonnez-moi ! Votre Dignitaire m’a dit que je pouvais m’adresser à vous pour mieux appréhender cet endroit. Avez-vous pu recueillir des informations précises sur les actions des démons ? Ou sur certains clans de Tiefflin par exemple ? questionna le soldat des sables, qui voulait pouvoir mesurer l’étendu des connaissances récoltées en se basant sur des choses qu’il connaissait.

- Effectivement. Vous devriez pouvoir trouver ce que vous cherchez dans la partie " Démonologie ", elle commence à partir de la troisième étagère sur votre gauche. » lui indiqua-t-il en montrant la direction de la main.

Le jeune Thanatosian s’inclina et se dirigea vers les ouvrages convoités. Il étudia les titres des livres avec attention et finit par sortir un livre des rayonnages. Il revint alors sur ses pas et prit place à la table d’Archibald. 
L’ouvrage qu’il feuilletait contenait des informations très précises sur plusieurs démons. La date à laquelle ils s’étaient manifestés pour la première fois, la nature de leurs exactions, ou encore l’endroit où on les avait vu pour la dernière fois y étaient répertorié avec une grande minutie. L’invité n’eut qu’à consulter l’index pour trouver la créature qu’il cherchait. Tournant les pages en hâte, il trouva vite la page qui l'intéressait. Le visage fermé, il lut les lignes manuscrites avec la plus grande concentration.

« Une connaissance ? demanda Archibald sans relever les yeux de son parchemins.

- Je suppose qu’on peut dire ça comme ça... lui rétorqua l’homme du désert. J’avoue être étonné que vous ayez pu recueillir autant de choses sur lui !

- Je dois toutefois avouer que certains démons ne font rien pour passer inaperçu... Ce qui n’enlève rien au mérite de ceux qui ont renseigné tous ces volumes ! Mais dites-moi, puisque nous en sommes aux confidences, c’est vous que l’on nomme Œil de Sang, n’est-ce pas ?

- Effectivement... précisa Fergal en relevant la tête, pour jeter à Archibald un regard suspicieux.

- Ne soyez pas si surpris ! Vous savez, sans doute mieux que moi, que les audiences exceptionnelles auprès du conseil des juges ne sont pas légion. Nous avons donc été très vite mis au courant de celle que vous avez obtenu !

- Je vois... Et bien, je pourrais peut être bientôt vous en dire plus... »

Archie adressa, à son tour, un regard curieux à l’homme qui se trouvait de l’autre côté de la table. 

« Après avoir vu tout cela, je ne peux nier avoir envie de contribuer à votre œuvre ! Toutefois..., vous n’êtes visiblement pas sans savoir que j’ai déjà d’autres engagements. Je profiterai donc du repas de ce soir pour interroger Dame Saedon à ce sujet, afin de savoir si je peux ou non rejoindre vos rangs. » expliqua-t-il en relisant une dernière fois les lignes consacrées au démon qui l’intéressait.

Plusieurs heures s’écoulèrent ensuite, au cours desquelles Fergal et Archibald discutèrent à bâtons rompus, tout en consultant de nombreux écrits. Le redresseur invita ensuite le Tiefflin à le suivre quand fut venu l’heure du déjeuner. Et c’est toujours en discutant que les deux hommes prirent la direction des cuisines.