Trois semaines s'étaient écoulées depuis l'évènement qui avait conduit Eramos dans les Steppes Ardentes. Il comptait maintenant remonter assez au nord pour rejoindre la frontière naine pour ensuite prendre un traversier qui l’emmènerait à Hydrasil et son port. Le chasseur de prime restait nerveux à l'idée de voyager sur la Mer des Larmes qui avait avalée tant d'âmes qu'il était dur de l'ignorer, mais, depuis l'arrivée des Éladrins, un peuple provenant d'un autre continent nommé Etragore, le voyage maritime semblait devenu presque sécuritaire. Du moins, il y avait beaucoup moins de décès.

Cœur d'aigle voyageait à pieds, parallèlement aux sentiers et souvent en pleine jungle, ce qui accélérait considérablement sa vitesse de voyage, mais accentuait également les risques d'une attaque animale, voir orque. Heureusement, Eramos était un homme prudent et agile en forêt. Bien qu'il ne connaisse que peu la Jungle Noire, il reconnaissait plusieurs similitudes avec les forêts tempérés de l'est d'Ildirith. Il appréhendait cependant le climat humide de ces contrées, mais trouvait réconfortant l'idée d'avoir un peu moins de chaleur que dans les Steppes Ardentes, l'endroit le plus chaud du continent.

Le ciel s'obscurcissait à une grande vitesse et Eramos décida de s'arrêter avant que les ténèbres n'englobent complétement la dangereuse étendue sauvage. Alors, ne trouvant pas de clairière où se poser, il délia une petite machette de son sac de voyage et coupa les petits arbres parsemant le sol. Il n'en coupa qu'assez pour faire sa tente et faire une place pour un feu.

Quand il eut enfin terminé de tailler la flore autours de lui, une brume épaisse tomba sur la jungle comme il était habituel de le voir. Le noir ayant prit place à la lumière, Eramos se mit à ramasser les petits troncs qu'il avait coupé pour faire son feu, mais quelque chose l'arrêta dans son mouvement, un autre feu se mettant à brûler à un kilomètre de son bivouac. Alors, au lieu d'utiliser les troncs pour son feu, il empila ceux pourvus de feuilles sur sa tente afin de la camoufler et dégaina deux couteaux de lancée en amorçant sa marche vers le campement inconnu non-loin.

Certains pourraient voir ce geste comme imprudent, mais Eramos lui ne l'était pas. Il préférait savoir à qui appartenait ce campement et s'il était un danger pour lui. Après tout, il allait devoir cohabiter pour la nuit. Il prit près d'une heure à se rendre car il se déplaçait lentement en faisant attention à ne pas marcher sur des branches mortes. Mais ce n'était pas ce bruit qui l'inquiétait le plus, mais celui ressemblant à un claquage de gueule continu suivit de grognement roques et hargneux. Eramos pensa tout de suite à une bête sauvage, peut-être même un warg, l'un des loups géants dont se servaient les Orcs pour débusquer leurs ennemis.

La peur et l'excitation s'insinuèrent en le chasseur de prime, mais, comme avant chaque combat, il les refoula, amassant ces émotions fortes une une même partie de son esprit pour en laisser échapper stratégiquement, suivant la situation. De plus, il savait que les animaux (même les aberrations comme les wargs) sentaient la peur et qu'ils la voyait comme un défi à relever et qu'ils se dépêchaient d'accepter à grands coups de dents et de griffes.

Voyant le campement maintenant assez clairement, il profita de la noirceur l'enveloppant pour l'observer. D'où il était, il voyait un homme habillé d'une armure noire achever férocement un cadavre d'Orc salement amoché. Quand il se releva, il pu voir du sang sur son visage, comme s'il avait été attaqué. Alors, d'où il était, il demanda:

- Vous êtes blessé ?

Eramos avait du mal à comprendre la scène qui s'était déroulée sous ses yeux. Il analysa chaque élément autours du campement de cet étrange individu. Il y avait le corps en bouilli de l'Orc, le sang inondant la terre et l'homme se trouvant là, un sourire douteux sur le visage. La main du cadavre avait été lancée devant lui, ses doigts s'ouvrant dans une ultime demande d'aide qui n'aura jamais été répondue.

Alors à ce moment précis il analysa l'individu devant lui, ses traits quelques peu noircis par les flammes dansantes de son feu de camp. Il remarqua en premier sa taille inhabituelle amalgamé à deux proéminences frontales qui lui semblaient fumer comme deux cheminées tordues et noircies. Son visage était incroyablement pâle et le milieu de son front était recouvert par une cicatrice en forme de croix sanglante. Il portait une armure qui semblait à la fois solide et légère car elle s'épousait aux formes sveltes de son corps. Eramos reconnu son potentiel antagoniste comme un Tiefflin, même s'il n'en avait jamais vu comme celui-ci. Il crut même avoir affaire à un démon, mais sa voix lui fit penser le contraire. Il y avait tant de haine dans celle-ci que cela nous pouvait provenir de son côté mortel, les démons préférant démontrer la leur par la moquerie ou la colère ; la haine venait des Humains.

Le Tiefflin lui demanda d'approcher, mais Eramos fixait la lame dentelée qu'il gardait en main. Il semblait regarder dans la direction du chasseur de prime, mais celui-ci ne savait pas se doutait qu'il puisse le voir vraiment. Impatient, le géant écarta ses mains en laissant sa poitrine à découvert, signe de paix. Eramos serra une dague de lancé entre ses doigts et se dit qu'il était préférable de l'abattre maintenant ou du moins de faire diversion, mais pour aller où ? Cœur d'aigle n'était pas certain de pouvoir traverser l'armure étrange du Tiefflin avec sa dague et s'il le ratait et qu'il réussissait quand même à s'enfuir, il ne résoudrait pas le problème de devoir dormir d'un seul œil. Alors, il la rengaina et avança prudemment pour se positionner de l'autre côté du feu en faisant bien attention de ne pas lui tourner le dos.

Il s'assit sur un rocher à la lisière de la lumière des flammes en s’emmitouflant dans sa cape sombre.

- Je n'ai pas encore décidé si j'allais te tuer. Cela ne te dérange pas si je reste un moment ?, dit-il de façon détachée.

Cœur d'aigle sortit de sa poche une pipe en bois qu'il rempli de tabac avant de l'allumer avec un briquet à silex. Son regard passa sporadiquement sur ce qui semblait être l'arme du défunt Orc, positionnée aux pieds Tiefflin. C'était une arbalète faite en bois d'ébène, un bois sombre que l'on ne trouvait que dans la Jungle Noire. Elle était à double cordage, et donc à double carreaux. De loin, elle semblait avoir un mécanisme complexe, mais simple à utiliser. Aucun carreau n'était dessus et les cordes semblait débandées. Il la pointa du menton en lâchant une bouffée de fumée.

- C'est la tienne ? Je peux ?, demanda-t-il sur un ton plus intéressé cette fois, mais quand même neutre et calme.