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Leofegar Guilhem Urion, tel est mon nom. Depuis longtemps déjà on a cessé de m’appeler ainsi, Grand-Prêtre Urion est devenu mon titre et ma raison d’être désormais. Mais cela n’a guère d’importance car en ce jour nous sommes tous égaux, la mort ne fera point de distinction. Grand
Solarim, toi qui m’as conféré cette puissance qui coule dans mes veines depuis toujours, seras-tu à mes côtés dans cette ultime bataille? Et vous,
Phélemée,
Revoran, gardiens de l’Humanité, ne vous ai-je pas montré tout au long de ma vie ma dévotion et mon respect? Nous verrons, j’entends le cor de guerre des barbares du sud gelé, ils arrivent. Je ne laisserai pas Hydrasil tomber, pas aux mains de ces conquérants assoiffés, pas aujourd’hui.
Je me fais vieux, je devrais être en première ligne et ainsi laisser une chance aux braves soldats de Bélin rassemblés face à un adversaire encore invaincu. Après tout je ne suis qu’un homme parmi tant d’autres, me démarquant par ce don de magie qui m’a été légué. Je n’ai jamais souhaité m’enrichir ou diriger, mais ce soir je suis à la tête de milliers de guerriers qui comptent sur moi, quelle ironie, je ne me suis jamais senti plus démuni qu’en cet instant. Que pouvons-nous devant un tel désir de vaincre, sans doute ne savent-ils même plus pourquoi ils se battent tant ils ont versé le sang.
Je songe à Varak qui m’a vu grandir, puis partir, c’était le bon temps. Mon père nous a quitté bien trop tôt mais il souhaitait protéger sa famille et sa terre, je n’ai jamais pu lui en vouloir. Ma mère, Nalia, était une humble enseignante doublée d’une historienne passionnée, je lui dois tant. Elle m’a poussé et soutenu, sans elle je ne serais pas l’érudit que je suis aujourd’hui et ma magie n’aurait jamais pu être domptée, ni comprise.
Je la sens qui bout en moi à l’idée de les voir gisant dans la vallée, l’incompréhension et l’agonie sur leur visage. Je me sens seul comme abandonné à mon sort, sans doute les divins se plient-ils au jugement de
Litrish. Pour la première fois de ma vie je n’accepte pas de renoncer, de me résigner même si j’ai foi je ne peux plus croire. Le ciel se voile annonciateur de tempête, et les voilà qui passent à l’assaut.
L’ultime silence et puis le fracas des armes et des âmes, personne ne peut résister à la force brute et animale de ces géants, les miens tombent comme des mouches. J’accours, je fonce brandissant mon épée dans une main et dans l’autre la foudre destructrice. Plusieurs Norpaliens succombent à mon courroux mais pour chaque mort dix colosses apparaissent l’instant d’après, tout ceci n’a rien d’un affrontement, ils nous éradiquent. Les Bélinois persistent tout de même, aucun d’eux ne fuit, il s’agit là du plus noble sacrifice qu’il m’eût été donné de voir. Pourtant personne ne saura, personne ne pourra raconter leur détermination et leur courage, personne ne survivra si je ne fais rien. Mes mains brûlent, la rage m’envahit, mon cœur vacille, je perds le contrôle...
Un souffle puissant repousse les guerriers, je suis au centre d’un tourbillon de colère magique, une force supérieure prend le dessus. Je comprends alors ce qui se passe, ce que j’ai fait, mais il est trop tard. Je l’entends qui rit, le prince du chaos, tandis que se déferlent ses créatures meurtrières. Je fais tout pour arrêter mais il s’est emparé de mon corps, je ne suis plus qu’un outil aux mains de
Sipriar qui me promet que tout ce que j’ai connu disparaîtra et que la dévastation n’épargnera personne. Moi qui voulais la paix j’ai ouvert les portes qui devaient demeurer scellées, le mal se répand. Je me sens faiblir, faites vite que ce portail ne se referme, laissez-moi mourir que je mette un terme à tout ceci. Je les entends rugir, je les entends mourir et puis vient la noirceur, il était temps. »