.:: apparence ::.
« La première fois que je l'ai rencontré...
La première fois, voyons. Je devais avoir dans la trentaine d'année. Peut être un peu plus. Lui, il entamait à peine la vingtième. C'est du moins ce qu'il m'avait dit à l'époque, mais je le soupçonne de s'être vieilli d'au moins deux ans. Il avait l'air jeune. Trop jeune pour ce qu'on faisait. Mais c'était peut être juste son air naïf, ses traits fins et efféminés, qu'on a pas vraiment l'habitude de croiser chez des hommes bien mûris, enfin, pas par chez nous en tous cas. Ça lui donnait un air de gamin, à la fois attendrissant et énervant.
Mais j'ai bien fait de ne pas m'y fier. Il y avait autre chose dans son regard, quelque chose de mort et de blessé, quelque chose qui avait faim, aussi. Quelque chose qui le vieillissait plus sûrement que ses mensonges.
Je me souviens bien de ce temps. Les autres n'aimaient déjà pas sa compagnie. Il faut dire aussi, qu'avec son visage de fille, ses cheveux longs, blancs, et son éternelle coiffe cornue, il était assez.. Assez atypique. Il l'est toujours, bien sur, même si maintenant, l'ombre qui mange ses joues et sa silhouette plate, musclée empêchent un peu mieux les confusions.
En plus de cela, il n'est pas difficile de deviner son ascendance démoniaque. Même si ses cornes sont fausses, le mot "Tiefflin" se lit partout sur son visage. En commençant par sa peau grise et nacrée, assez peu naturelle, un peu trop veloutée aussi. Ses cheveux, ensuite, trop blancs, trop brillants. Et puis ses yeux, surtout.
J'avais déjà entendu dire, comme tout le monde, que les yeux étaient les fenêtres de l'âme. Soit.
Je n'y croyais qu'à moitié avant de rencontrer Yexil.
Comment décrire sinon le sentiment qui prend à la gorge quand on se laisse happer par ses iris ? Au fond, c'est peut être ça, qui dérangeait vraiment les autres. Se faire entraîner, effleurer un esprit un peu trop sombre et chaotique à leur goût. Trop grand, peut être. Oh, pas plus intelligent, non, juste... divisé, étendu. Je pense qu'on ne peut pas vraiment l'expliquer, le comprendre, avant d'avoir tenté l'expérience. Cette impression ne dure pas très longtemps, à peine un souffle, juste de quoi mettre mal à l'aise. Je ne pense même pas qu'il s'en rende compte, en réalité. Je me suis bien gardé de lui en parler, et je doute que quelqu'un d'autre ait eu le culot de le faire. Et puis, lui même évite, en général, de croiser le regard d'autrui.
Mais l'étrangeté de ses yeux ne s'arrête pas là. Au delà de l'impression, il y a la couleur. « Les couleurs », d'ailleurs, serait plus indiqué sans doute. Ils sont clairs, mais c'est tout ce qu'on peut affirmer avec certitude. Parfois gris, parfois rougeâtres, bleutés, jaunes pâle... On pourrait prendre cela pour l'effet de jeux de lumière, mais je sais, moi, qu'il n'en est rien. Ce sont ses émotions.
Des sentiments faits nuances, comme un souffle passant à la surface d'une flaque de mercure. »
Extrait du journal d'Auril Brian,
Vendelia, 14 de Brinhal,
15ème année de l’ère du second souffle.
« … Et c'est ainsi que nous avons enfin réussi à nous débarrasser de ce voleur. Je dois avouer qu'au delà de la satisfaction du devoir accompli, j'ai ressenti une joie sincère en mettant ce vaurien aux fers. Il s'est trop longtemps moqué ouvertement des lois de cette grande cité. Il est temps qu'il paye.
Il me reste un dernier point à aborder, aujourd'hui. Ma plume hésite, osant à peine toucher le papier, tant je ne sais que penser de cette rencontre.
Plus tôt, en cette journée, je l'ai vu.
Lui, Yexil. Je ne l'avais pas aperçu depuis sa disparition, je n'avais pas une nouvelle, pas même de preuve qu'il soit toujours en vie. La plupart des autres de la garde le pensent déjà mort, d'ailleurs, et c'est pour cela en partie que j'hésite à rendre la nouvelle de sa survie publique. Parce qu'ils ne chercheront pas à comprendre, eux. Parce qu'ils n'auront aucune pitié.
Sur le moment, je ne l'ai pas reconnu. Un an à peine s'est écoulé depuis son départ, et pourtant, il a tant changé !
Il est apparu au milieu d'une ruelle, couvert d'ombre et de poussière. Je ne pense pas que je l'aurais seulement remarqué s'il ne l'avait pas désiré, si ses yeux n'avaient pas étincelé sous son capuchon noir. J'ai d'abord cru voir un fantôme. Il était plus grand que dans mon souvenir, plus maigre aussi.
Il était comme noyé dans les ténèbres, ou peut être habité par elles, je ne sais vraiment. Son visage, en partie dissimulé, avait l'air froid. Vraiment froid.
Et puis il a disparu.
Il a toujours eu le pied leste, ce gamin. Je sais qu'avant, dans les rangs de la garde, il n'utilisait pas son plein potentiel. Il avait peur du regard des autres. Son physique lui attirait déjà suffisamment de problèmes pour y rajouter des capacités physiques surhumaines. Mais jamais je n'aurais pensé qu'il puisse courir aussi vite. Ni bondir aussi haut.
Mais qu'est il devenu ? Qu'est ce qui a pu le faire changer à ce point ? Et que fait il, maintenant, dans la Basse Ville ?
Non, je ne dois pas transmettre la nouvelle.
Pas avant d'avoir trouvé des réponses.
Je ne trahirais pas une seconde fois mon ami. »
Extrait du journal d'Auril Brian,
Miwenda, 23 de Brinhal,
16ème année de l’ère du second souffle.