Histoire
« Il est court le chemin qui mène à la bataille dans la vie des Orcs, mais celui de monter en grade, c'est toute autre chose. J'en ai bavé pour arriver où je suis aujourd'hui, et c'est surement pas grâce à mes deux stupides de frères doublement arriérés. Je vais te raconter pourquoi tout ça arrive aujourd'hui, pourquoi ça t’arrive à toi, demi-homme !
Chaque jour c'était la même chose lors des entraînements ; se battre, encaisser, souffrir, courir, sauter, grimper, encore souffrir et encore se battre. En général, c'était comme ça que se déroulaient mes journées. Et encore, je n'avais à peine que 4 ans ! J'avais la peau bleue alors que je devais être grise. C'est sans doute que j'avais trop d'ecchymoses pour que mon vrai teint ne soit visible. Mais bon, je m'égare.
Je suis devenue Éclaireur à l'occasion de mes dix ans car j'avais réussi à tuer l'énorme anaconda qu'on m'avait offert en l'enfilant sur un arbre que j'avais préalablement déraciné. Ce jour avait marqué ma vie car c'était aussi la première fois que je dégustais des yeux de serpent saisis sur la braise, croquants à l'extérieur et encore chauds et liquides à l'intérieur. Un vrai délice !
En tant qu'Éclaireur, je devais m'assurer que les autres clans ne préparaient pas d'attaque et que notre territoire était libre de toute menace. C'est ce que je fis pendant quatre années et ce avec perfection. On me nomma alors Fantassin et je pus dès lors participer aux combats, aux VRAIS combats je veux dire. Et je combattis, vaillamment, férocement et avec tout l’honneur qu'on m’avait appris.
C'est ainsi que j'ai tué le chef du clan Griffes-rouges, lui transperçant le dos. C'est comme ça qu'on voit l'honneur là d'où je viens ! C'est une voie stupide que seuls les faibles choisissent ! Personne ne devient chef avec l'honneur. C'est grâce à la puissance de nos bras et au tranchant de nos lames ! »
(Plaintes étouffées)
« Oh pardon, j'avais oublié que tu vidais de ton sang, je vais abréger mon histoire. J'avais dix-neuf ans lorsque je suis enfin devenu Maîtresse de guerre. J'étais la seule femme digne d'intérêt de toute ma cohorte. Mes deux frères, quant à eux, avaient vingt-trois ans et n'étaient que de simples Éclaireurs. Borgus et Frator qu'ils s'appelaient.
J'en parle au passé car nous n'avons pu sauver que la tête de Frator et que le bras gauche de Borgus. Les goules les avaient vite dévorés après les avoir...assommé avec LEUR PROPRE MASSE ! Non mais quels idiots ! Ma mère ne méritait pas telle honte ! Que les ancêtres veillent sur son âme, pauvre Stalaboush, pauvre maman… »
Du sang mouilla le pied de Thaom.
« Je crois que tu es fin prêt, petit homme. »
Elle lui enleva le bout de tissu maculé de liquide rouge, libérant sa bouche.
- Allez, dis-moi où sont cachés les autres misérables Nains ! Tu n'es plus en mesure de négocier, combien sont-ils et quand prévoient-ils nous attaquer ?! T'es un Parien pas vrai ?
Le Nain accroché par les pieds toussa et cracha avant de répondre.
- Vous êtes folle, complètement dérangée ! Il n'y a personne d'autre, je ramassais juste des racines et d’autres cochonneries dans votre satanée jungle ! Vous êtes folle sale Orc, détachez-moi avant que je n'ai plus du tout de sang !
Thaom approcha son visage grisâtre du sien arborant un air impassible et déstabilisant.
- C’est toi qui es cinglé, demi-homme. N’entre pas qui veut dans la Jungle noire, et personne n’en repart jamais. J’ignore qu’elle folie t’a menée jusqu’ici mais elle t’a conduite à ta perte. Tu m’en vois fort désolée, Nain.
Le soleil tombant à l'horizon, elle se leva et entreprit de ramasser son paquetage et ses deux haches.
- Que faites-vous ? Se plaignit-il.
- Je rentre chez moi, quelle question. Avec un peu de chance, j'éviterai la horde de tigres affamés qui rôde par ici.
Il hurla de terreur.
Elle s'approcha et attacha fermement un tissu autour de la cuisse du Nain, ce qui stoppa l'écoulement du sang.
- Merci, dit-il, incrédule.
- Ce n'est rien, je veux juste être certaine que tu seras encore en vie lorsque les bêtes arriveront, simple précaution. Au revoir ou plutôt adieu.
Elle s'éloigna en laissant le Nain sans voix. Quelques mètres plus loin elle l'entendit hurler de plus belle.
« Continue comme ça, ils viendront plus vite c'est tout... »
- Je vous en supplie Orc, mon fils est malade et n’a plus que moi au monde, ne me laissez pas ici !
La Maîtresse de guerre soupira, s’arrêta et consentit à l’écouter sans pour autant se retourner.
« Je devais trouver de quoi le sauver et il n’y a qu’ici que je pouvais me procurer ce misérable champignon, je ne veux pas mourir ainsi, par Revoran, pas pour un vulgaire champignon…» ajouta-t-il avant de fondre en larmes.
Elle considéra ses propos avant d’aller le rejoindre d’un pas décidé.
- Que faites-vous ? Attendez, non, attendez !!!
Les muscles du bras droit de Thaom se tendirent tandis qu’elle resserrait sa poigne sur le manche de sa hache. D’un mouvement vif elle trancha la liane retenant les pieds du Nain qui alla s’écraser violemment au sol. Le choc lui coupa le souffle mais c’est la surprise d’avoir toujours sa tête qui l’estomaqua le plus. L’espace d’un instant il avait cru que son heure était finalement venue.
- Remercie ton dieu, en ce jour la chance surpasse ton manque de jugement. Ton courage t’a fait courir des risques énormes et j’ai du respect pour ceux qui ignorent la peur. Pars avant que je ne change d’avis, conclu-t-elle en libérant ses poignets et ses chevilles de leurs entraves.
- Merci madame, merci, articula-t-il circonspect.
- Va-t-en ! Rugit-elle dévoilant davantage ses crocs démesurés.
Le Nain déguerpit alors du mieux qu’il pu en titubant, se frayant tant bien que mal un chemin à travers la dense végétation.
La Maîtresse de guerre des Ours-hurlants accrocha son arme à son flanc gauche à l’opposé de sa jumelle avant de reprendre la route. Elle n’avait pas pour habitude d’épargner les intrus, elle ne savait même pas pourquoi elle l’avait fait. Elle craignit un instant que le temps où ses actions se suffisaient à elles seules ne fût terminé, elle préférait de loin agir selon les ordres et les coutumes qu’en suivant ses propres réflexions. Pourtant, en elle remuait un ardent désir de changement, désir qu’elle réprimait de toutes ses forces. Thaom était tout de même satisfaite de sa décision, c’était ça l’important. Soudain, un puissant rugissement retentit bientôt suivi par les hurlements déchirants et éloquents du pauvre Nain égaré.
- La jungle ne recrache jamais personne, murmura l’Orc légèrement déçue, elle te dévore en entier.
« Tout ça c'est de l'histoire ancienne, même si je ne regrette rien j'aime à penser que je peux faire mieux et que les Orcs pourront un jour s'intégrer aux Hommes pour partager leur culture sans en venir à croiser le fer. Nous sommes loin d'être des idiots de pères en fils, ceux qui propagent cette idée ne connaissent rien de notre peuple! Je n'aurais jamais cru qu'il me reviendrait de les mener à découvrir une autre facette d'eux-mêmes, une autre raison qu'ils ont de vivre en ce bas monde. La guerre est nécessaire mais pas en tout temps et en toute chose, la tempérance est ce que certains que je nomme Amis m'auront appris.
Rien ne m'empêche de rester moi-même tout en contrôlant mes pulsions bestiales et mes réflexes de combats issus de maintes années d'entraînement, de conditionnement. J'agirai donc en élargissant le regard que je porte sur le monde pour ainsi mieux différencier ceux qui méritent de vivre, et ceux qui au contraire méritent de périr. »