Histoire
Pardonnez le nombre incalculable de fautes ! Elles sont ma faiblesse... et les histoires aussi. Je vous souhaite bon courage pour lire jusqu'à la fin.I. Mère
Amédriss naquit sous le cuivre flamboyant de Branfale. Son père, Marius de Courteloi, bénit ce présent qui servirait ses desseins en posant sur les épaules de sa fille naissante le lourd fardeau qu'il avait envisagé pour l'avenir de leur famille. L'homme était Juge et d'honorable réputation. Son nom était connu des hautes sphères de la société car il intentait aux procès les plus importants de la Ville d'Argent et déployait maintes ruses pour servir ses intérêts. Marius était puissant, influent, mais surtout dangereux pour quiconque ne marchait pas à ses côtés.
La petite enfance d'Amédriss fût des plus quelconques. Lorsque sa soeur cadette, Jenna, vint au monde au deuxième jour du Brives, elle avait 7 ans. Contrairement au nouveau nourrisson débordant d'une vie pétillante, l'aînée était d'un caractère discret et obéissant. Mais les babillages du nouvel enfant ne vinrent pas à bout de la présence pourtant effacée d'Amédriss. Son père n'avait d'yeux et de projets que pour elle. Entre une leçon d'arithmétique et de politique, la rousse trouvait tout juste le temps de se substituer à ses précepteurs pour aller chaparder des galettes dans la cuisine familial. C'est là que sa mère, Andrielle, passait le plus clair de son temps. Elle la recevait toujours dans le plus grand des secrets, faignant de n'avoir vu sa fillette nul part lorsqu'un professeur désemparé arpentait la maison pour la retrouver, et glissait en cachette un fruit bien mûr sous la table. Les petites mains d'Amédriss s'en emparait doucement et un gloussement enfantin s'échappait de sous la nappe. C'était le temps de l'insouciance.
Deux ans après la réformation secrète du Gantelet par Jeoffrey Hekhart, Andrielle fût condamnée à mort pour le meurtre prémédité de trois soldats et d'un recruteur de la Main-Rouge qu'elle aurait empoisonnée lors d'un banquet. Nous étions en l'an 393, Amédriss avait 12 ans. Il fut décidé que le pendaison serait publique afin de montrer l'exemple. Dans la foule, le père se pencha sur sa fille en serrant dans sa large main sa frêle épaule.
- Amédriss, sais-tu pourquoi ta mère sera exécutée ? lui demanda-t-il gravement
- Parce qu'elle a enfreint la loi... dicta l'enfant dans un souffle la phrase que son père lui répétait sans cesse
- Non. Parce qu'elle a été
accusé de l'avoir enfreint. Et maintenant, je veux que tu regardes attentivement. Regardes comment cela se passe lorsqu'on est imprudente... Nous faisons tous des choses que nous ne devrions pas, l'essentiel est que personne ne le sache.
Amédriss apprit deux choses importantes cette journée-là ; que l'hypocrisie est déplorable mais ô combien profitable et qu'il faut savoir, avant toute autre chose, sauver les apparences. Lorsqu'on donna un coup dans le tabouret qui retenait les pieds de sa mère, l'enfant se souvint des paroles qu'elle lui avait dites à la hâte, quelques semaines plus tôt. «
Les parents meurent avant les enfants, la vie est ainsi faite. Tu seras triste quand je partirai, mais tu ne dois pas pleurer, m'entends-tu ? Sois forte, ce sont les faibles qui sont ciblés les premiers. » La nuque ne fut pas brisée d'un coup sec, ainsi le corps de sa mère se convulsa pendant d'interminables secondes au bout de sa corde. Les cris effrayés de sa cadette parvinrent à Amédriss comme un étrange son cotonneux. Les bouts de ses doigts étaient gelés, il neigeait. «
Chérie... méfies-toi de papa. »
II. Artifices architecturales
Marius envoya sa fille à l'Académie d'Urion une semaine après que le malheur se soit abattu sur leur famille. Cela lui laisserait le temps d'étouffer les commérages et éloignerait Amédriss des mauvaises langues. Il fallait tuer dans l'oeuf les clabaudages à propos de cette exécution, M. de Courteloi ne pouvait permettre une telle tragédie d'entacher la réputation des siens, d'autant plus avec les projets qu'il avait pour son aînée.
Amédriss ne possédait pas la flamme mais elle dévora quand même tout ce qui se rapportait à l'Onirisme et étudia assidûment l'Ancien langage. Noyée dans un flux constant de nouvelles connaissances et rencontres, son esprit finit par s'échapper des malheurs de l'enfance. Lorsqu'Amédriss revint à la maison, elle avait 16 ans. Son corps n'était plus celui d'une fillette et son père lui appris immédiatement à en tirer profit. Il l'emmena à un maximum de bals, de banquets et de réceptions mondaines. Plus de livres, plus de magie, plus de professeurs... sa nouvelle école était des plus singulières. Il lui fallait apprendre à manier l'art de la discussion, de la persuasion, du charme et du mensonge. Amédriss tourbillonnait dans un monde inconnu dans des robes tous plus belles les unes que les autres, parée comme une demoiselle de haut-rang, courtisée par toujours plus de gentils hommes. Devant elle se dessinait un destin dont-elle n'était pas même l'architecte. Marius tirait habillement les ficelles de son malléable pantin et le nom de sa fille fût bientôt sur les lèvres des personnes désirées...
- Père !
La magnifique jeune femme qu'était devenue Amédriss déboula dans la chambre de Marius, les joues fardées de rouge et les doigts crispés sur un formulaire en papier. Il était si rare que sa fille démontre de la colère que l'homme en resta coi un court instant, assit sur une chaise devant la cheminée.
- C'est donc à cela que rimait toutes vos manigances !? s'époumona sa colombe en agitant les lettres sous son nez. Un mariage !
- Par tous les dieux, mon enfant... le mariage est bien peu de chose à côté de ce que j'ai toujours souhaité vous réserver.
La crinière rousse de sa fille formait une auréole enflammée autour de son visage déconfit, lui donnant l'air d'une démone prête à damner tous coupables de sa déchéance. La nuit fut longue en discussions mais Marius pris tout le temps nécéssaire pour expliquer à son enfant ses ébauches. Son futur mari la rapprocherait de l'impensable. Elle irait à la cour royale et, suite à nombres de judicieuses combines, s'élèverait au rang de Conseillère. Lorsque la discussion fut terminé, Amédriss se leva lentement de son siège en fixant les flammes du foyer.
- Une fille cherche toujours à plaire à son père. J'ai tant voulu que vous soyez fier de moi...
Elle se tourna vers ce qui était maintenant le cadet de ses soucis. Son visage délicat avait retrouvé son habituelle impassibilité mais dans ses prunelles sombres brillait un éclat malfaisant.
- Je vous hais désormais.
III. J'ai rêvé de ne point vous perdre
Amédriss fût mariée sous peu à un certain Ilias Lansal, un fort bel homme de dix ans son aîné. Force lui fût de reconnaître que son père aurait pu lui trouver bien pire parti. Comme toute femme qui se résigne, elle apprit à aimer d'un amour tendre et sincère son mari au fil des années. Les portes de la noblesse lui furent ouvertes ainsi que celles du bonheur. Il y eût même certains jours où Amédriss oublia momentanément sa mission et où elle se surprit en train de rêvasser à une vie belle et paisible avec son seul amour, une vie tranquille qu'ils auraient passé sur son domaine, loin des coulisses du pouvoir et des intrigues politiques de la cour. Mais de s'imaginer cela était comme de caresser du doigt son reflet sur la surface d'un lac. L'avenir se brouillait, et disparaissait. En cachette, Amédriss prenait des herbes pour rendre son ventre infertile. Ô comme elle désirait porter l'enfant d'une union si spéciale. Elle ne pouvait se le permettre...
En l'an 6, on couronna la Reine. Cette même année, Ilias prit le large vers Térovia pour des fins commerciales qui restèrent nébuleuses pour sa femme. Elle apprit plus tard que cet exil forcé avait été orchestré par Marius, lui-même influencé par sa fille cadette, Jenna. Amédriss eût l'aigre regret d'avoir parlé à sa soeur de son désir secret d'enfanter, la jalousie de sa cadette l'avait poussé à la délation auprès de leur père. Celui-ci n'accepterait jamais de faire passer les désirs maternels puérils de sa fille avant les intérêts et la réputation de la famille. Une descendance trop hâtive aurait anéanti tant d'années de travail acharné...
Pendant trois ans, les amants s'écrivirent régulièrement. Se languir ainsi de son mari ne fit qu'accentuer l'amour qu'Amédriss lui portait. La mélancolie la gagna peu à peu, elle perdit ses objectifs de vue. Conseillère ou pas, elle se promit de lui donner un fils à son retour.
Cette promesse se brisa le jour où elle reçu une dernière lettre.
«
Chère Dame,
J'ai le regret de vous annoncer qu'Ilias Lansal, notre ami commun, est tombé suite à une échauffourée avec des bandits de grand chemin. Puisse l'Astral lui offrir le repos éternel et la blessure de sa perte vous rappeler à jamais l'amour qu'il vous portait.
Avec toute ma sympathie,
Sieur Dulmen de Castlhaut. »
Il semblât n'y avoir plus un seul souffle de vie dans la grande chambre. Par la fenêtre à croisée s’immisça la réverbération d'une lueur chimérique, celle d'une froide brunante d'hiver. Un effroyable hurlement de douleur déchira la nuit, un cri empli de tant de désespoir qu'il meurtri le coeur de tous ceux qui l'ouïr. Au matin, on trouva une dame effondrée sur les dalles, le dos voûté par le chagrin. Les pâles pans de sa robe s'étaient échoués dans sa chute et entouraient comme deux grandes ailes blanches son corps tremblant, lui donnant l'apparence d'un cygne, magnifique et fragile, qu'un vent violent aurait fait tomber de son royaume céleste. Dans ses serres glacées, Amédriss abîmait un amour à jamais perdu et une lettre de papier pour le lui sans cesse rappeler...
IV. L'Exorde de la Deuxième Dame
Le printemps de la 11e année vit Amédriss s'élever au rang de Conseillère de la Reine Régente. Il n'y eut jamais d'entrée en fonction si peu allègre et on confondit aisément l'incurable tristesse de cette préconisatrice pour une exceptionnelle tempérance de caractère. Ainsi donc, une peine de cœur fut identifié comme étant une sobriété d'âme et on se figura d'Amédriss qu'elle était pour Bélin une personnalité désormais indispensable. Marius de Courteloi bût à sa victoire ce soir-là, seul dans sa vide demeure, heureux enfin de ce qu'il avait gagné mais inconscient de tout ce que ces années d'acharnement lui avait coûté à lui et à sa fille.
Jenna se déroba à la cité d'Hydrasil et ne reparu jamais plus. Une année de rumeurs couru sur ce qu'il était advenue de la dernière Courteloi jusqu'à ce que les racontars s'épuisent et s'étiolent comme des lambeaux de nuages gris dans un ciel trop sombre. Comme si la cadette n'eût été plus qu'un mauvais songe qui disparaît de notre mémoire une fois les affres du sommeil dissipés...
L'année suivante fût celle où Dagator prit le trône de Varak et où des rescapés Eladrins vinrent du Nord de Bélin. Amédriss fût fort occupée et noya son chagrin dans un tourbillon de nouvelles fonctions. La Conseillère de la Première Dame fit sa place comme partout ailleurs et seuls quelques âmes perspicaces devinèrent la tristesse acerbe que recelait son coeur flétrit. Tout comme sa peine, Amédriss sût les faire taire, et son alliance fût délaissée dans un tiroir de son secrétaire. Elle se fit comme seule vocation l'avenir de la Reine et les intérêts de la Couronne.
«
Tu seras triste quand je partirai, mais tu ne dois pas pleurer ... »
V. Ce jourd'hui
Un messager pénétra les appartements de la Conseillère. Il trouva la dame assise face à sa fenêtre à contempler la neige tombante, loin de la chaleur du feu. La lumière crue de l'hiver donnait à ses traits l'impression d'appartenir à une femme beaucoup plus vieille. Une femme seule et fatiguée qui ressasse les démons de son passé.
- Dame la Conseillère, s'annonça le jeune homme en s'inclinant
Il attendit que la rousse veuille bien lui daigner un regard mais son visage resta tourné vers les blancs flocons. Se pouvait-il qu'il ait l'incroyable opportunité de surprendre la Poigne d'Hydrasil dans un de ses rares moments d'apathie ? Il la trouva si belle et si fragile qu'il en oublia la raison de sa venue, léchant sa nuque pâle du regard.
- Parle.
Il tressauta.
- Votre père est mort dans son sommeil. Son décès à été constaté ce matin.
Le messager cru percevoir un léger frisson sous la peau laiteuse de la Conseillère.
- J'en suis profondément désolé, se sentit-il obligé de rajouter, incommodé par le silence pensant qui s'étirait entre eux
- Va, exigea Amédriss en le congédiant d'un geste de la main
L'homme s'inclina une dernière fois et quitta les appartements. La Conseillère surprit une domestique à l'oreille curieuse qui se tenait dans l'encadrement de la porte, hagarde. Amédriss se leva lentement, le visage fermé, et posa une paume sur le rebord glacé de la fenêtre.
- La prochaine personne qui vient m'importuner, je lui réserve le même sort qu'à mon père, menaça-t-elle tout bas, calmement, en fixant le paysage
La domestique laissa échapper un gloussement alarmé et disparut dans la pièce d'à côté en refermant la porte derrière elle. Les paupières d'Amédriss couvrirent ses iris d'acier, frémirent imperceptiblement sous la caresse passagère d'une émotion fantôme qu'elle ne connaissait que trop bien.
Hydrasil semblait bien tranquille. Un pâle reflet de l'état d'esprit de notre Conseillère. Dans l'oeil d'un cyclone, tout est toujours bien trop silencieux.